CHAPITRE 17

FEMME VOILÉE À LA MER


"Une des plus belles passions de tous les temps"


On peut faire un tour en bateau, pour une superbe vue.

J’avais entendu parler d’Alexandrie de bien belle façon, sa magie, ses mystères. La cité du Phare, bien sûr, et surtout la fameuse Bibliothèque. Cité de culture, de passion et d’ouverture sur le monde grâce à cette superbe fenêtre sur la Méditerranée.

Se rendre du Caire à Alexandrie est un jeu d’enfant: les trains font l’aller-retour plusieurs fois par jour, en deux heures trente minutes.  Le train est moderne, propre, climatisé, et le prix du billet est très abordable. Il fait beau (il fait souvent beau en Égypte!)

Photos de la gare, et une carte postale honorant l'ancien train.






Nous parcourons le grand delta du Nil, région très fertile. Le fleuve se divise en plusieurs confluents qui vont se déverser dans la mer. On traverse des champs de culture, par exemple des orangers mais surtout du fourrage et des céréales.

Les systèmes d’irrigation sont partout, on pompe l’eau de l’un des bras du fleuve pour les acheminer vers les champs. Les cultivateurs surveillent en se baladant à dos d’âne.

Moi, j’observe le paysage défiler comme un film sur un écran.

Tout bouge plus lentement. Je suis bien, depuis la première heure où je suis arrivé en Égypte. Certaines personnes parlent anglais, mais comme cela m’arrive souvent, je veux rester intérieur, je veux goûter pleinement, communier, je veux me sentir bien d’être seul au milieu de ces gens.

Marie-Denise Pelletier le chantait ainsi:
 "Et je cours, je me raccroche à la vie... Je me saoule avec le bruit des corps qui m’entourent..." (Elle a beaucoup rehaussé l'originale de Daniel Balavoine).

Extrait musical (2m15) pour la suite:
"She closed her eyes"
(extrait, Chris Rea).
Il joue dans un autre onglet, cliquez et revenez ici.
Ou alors la vidéo complète (Youtube)

Pendant que le train avance dans la campagne, j’écoute encore Chris Rea, artiste exceptionnel qui m'a beaucoup marqué, avec sa belle et triste chanson clôturant l'album Espresso Logic. Réflexion à la fois douce et forte sur notre mode de vie.

Paroles de la deuxième partie:
And he closes his eyes, and he is gone, far away Il ferme ses yeux, et il est parti, très loin
Gone from all his confusion, gone from all the pain Loin de cette confusion, loin de cette souffrance
He can easily see what a pointless waste Il voit bien le gaspillage insensé
His modern life has become. que sa vie moderne est devenue.
Chasing the gravy train, Chasing the dollar, Pourchassant le "wagon de sauce", le dollar,
chasing the clock, chasing his male friends, pourchassant l'horloge, et ses amis mâles,
chasing the boss. pourchassant le patron.
Chasing it, as it was everything pourchassant, comme si c'était tout
It was nothing. Ce n'était rien
Only the sound of his own breathing Seulement le son de son souffle
Was all he REALLY HAD, at the end of the day était ce qu'il POSSÉDAIT VRAIMENT en fin de compte
And reason to wonder, reason to cry et une raison de douter, une raison de pleurer.
To late for this selfish sinner Trop tard pour ce pécheur égoïste
Who never, asked "why?" qui n'a jamais demandé: "Pourquoi?"







On voit aussi des villes en construction ou en sérieuse période de rénovation. C'est un aspect marquant de l’Égypte contemporaine: toute en construction. L’Égypte ne sera plus jamais celle que nous font miroiter les livres d’histoire.

Ainsi va cette ville à l'histoire fabuleuse.

La ville reine

Il y a 2 300 ans, le Grec Alexandre le Grand y installa la capitale de son empire. Alexandrie devint vite le port le plus important de la Méditerranée. Le phare du port est le premier à avoir été bâti. Maintenant disparu, il a été la Septième merveille du monde antique.  Les successeurs d’Alexandre en firent aussi une capitale intellectuelle. Poètes, savants et philosophes convergeaient vers le Temple des muses, le fameux musée.



Alexandrie, bien sûr, est aussi le lieu où la grande reine Cléopâtre se serait enlevé la vie, drapée de ses habits d’apparats, en se faisant mordre par un serpent.  Au 15e siècle, le port perdit de son importance, mais il la retrouva en 1869 avec l’ouverture du canal de Suez. Très vite, la ville devint une ville cosmopolite où débarquaient les milliardaires européens.  Encore aujourd’hui, on remarque de superbes immeubles rococo, souvenirs de cette période fastueuse.

Non seulement on y construit intensément, mais on y assiste à l’un des plus ambitieux face-lift de mémoire d’homme. Et on le fait avec goût, ici, cette fois. Déjà très agréable et cool, Alexandrie devient tout à fait irrésistible au tournant du millénaire. On sent très bien que les entrepreneurs, les rénovateurs, ont voulu respecter la personnalité de la ville, dans ses angles, ses dimensions et surtout ses couleurs.

Ce pastel, partout! Pourtant, malgré ces efforts, la seconde capitale de l’Égypte ne ressemble guère à la première. Point ici de minarets au-dessus des toits, de traces importantes de l’Antiquité ou de quartiers aux ruelles tortueuses.  En réalité, son charme n’a  rien de particulièrement égyptien.

Les plages d’Alexandrie n’ont malheureusement pas la grande classe. Elles sont jonchées de détritus, mais pas au point d’interdire la baignade. Les beaux coins se trouvent plus à l’ouest, à l’extérieur de la ville. Dans la partie est, les enfants pêchent sur les quais; on s’y fait bronzer. Chose certaine, j’éprouve un plaisir fou à me synchroniser avec ce tempo à la fois primesautier et détendu.



Alexandrie est aussi devenue une ville de shopping; sur la rue principale, on assiste à un étalage indécent de luxes divers à pleines vitrines.  Au hasard de mes promenades je tombe, juste à côté du McDonald’s, sur une toute petite cafétéria bien égyptienne: pain pita, haricots pilés dans l’huile, marinades, falafels, salade verte à petit prix. Deux mondes divergents, que dis-je! deux planètes voisines sur le même trottoir.

Une ville qui se visite à pieds, en tramway, en calèche. Pas de grands monuments, même l’aquarium est à peine divertissant (la visite prend tout au plus 20 minutes) mais des mosquées remarquables.  Par-dessus tout, un état d’esprit, un mélange mutant de cultures francophones et anglophones. Et des contrastes, des contrastes. Cette femme voilée qui relève sa longue jupe pour aller à la mer...

"Quelle église fréquentez-vous au Canada?"

Dans le tram qui me ramène à la gare, le jeune homme assis devant moi me salue puis me tend une carte montrant le visage de Jésus et l’inscription:

When I forgive, I forget (quand je pardonne, j’oublie).

Il me demande:
- Quelle église les gens fréquentent-ils au Canada? Catholique? Chrétienne? Orthodoxe?
À cela je ne peux que lui répondre:
- À la fois toutes, bien d’autres encore et aucune.
Il me demande si moi j’y vais. Aujourd’hui, je suis laconique, je me contente de dire:
- Parfois... selon le besoin, l’impulsion.
À ce moment précis j’arrive à ma station et c’est sur ces mots que s’est terminée ma visite à Alexandrie. J’ai salué l’étranger et je suis descendu.

Quand l’Amérique aura disparu comme l’Atlantide

Pendant le retour, on voit les mêmes gens du même delta, qui cultivent les mêmes champs qu’il y a quelques jours, quelques millénaires.  Ils sont encore là et ils y étaient bien avant que ma civilisation américaine ne soit apparue et ils y seront longtemps après qu’elle se sera écroulée, comme tant d’autres puissantes sociétés, comme les Sumériens, les Grecs, les Romains, les Égyptiens de l’Antiquité.

Elles ont toutes disparues, sauf l'actuelle société égyptienne qui s’accroche désespérément et maladroitement à une gloire qui aura duré 15 siècles mais qui a été ternie depuis fort longtemps par l’usure du temps, une gloire désormais rien de plus que légendaire, mais encore payante.

Et la société américaine? Dans toute sa puissance ponctuelle, elle n’a à peine que 300 ans. Trois cent ans! Déjà, elle est essoufflée, culturellement, socialement. Mais que sera-t-elle donc devenue dans 12 siècles? Aura-t-elle survécu comme l’Égypte l’a fait?

Tout doit passer et la disparition d’une société ne signifie pas que ses acquis, notamment spirituels, le font aussi. Les traces de son vécu peuvent disparaître mais sa réalité continue d'exister dans l'inconscient collectif.
Je suis persuadé qu’elle reste imprimée dans les archives de l’Univers, ou si vous voulez la mémoire de Dieu.
Ces choses restent vivantes dans le passé, le présent, le futur; dans l’éternité.

Et c'est bien ainsi.

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