CHAPITRE 14

L'ALCHIMISTE DE L'ÉGYPTE


"Quand quelqu’un connaît sa légende personnelle et qu’il désire l’atteindre du fond de son coeur, tout l’Univers conspire pour l’aider à y parvenir".

(P. Coehlo, "L’alchimiste")



Vue de l'hôtel Ismailia (lien plus bas). Mon appareil n'avait pas le "panoramique, j'ai donc collé mes deux photos ensemble.

Il peut subsister des coquilles dans cette version internet, et certains liens peuvent être brisés.
Pardonnez les changements occasionnels dans la police ("font")


Cet extrait provenant de "L'Alchimiste" (la légende personnelle) est la locomotive du best-seller de Paulo Coelho. Il revient au moins quatre fois dans le livre, sous une forme ou une autre.  J’ai lu le livre (en trois heures) une première fois à Rivière-du-Loup, un mois avant le Mali, et je l’ai relu une seconde fois là-bas.
Bien sûr, la seconde lecture, après tout ce qui m'était arrivé, fut bien plus éclairante que la première. À ceux qui ne l’ont pas lu, attention, je raconte le punch:

Un jeune berger, endormi sous un chêne, en Espagne, fait deux fois le même rêve dans lequel il trouve un trésor aux pieds des pyramides d’Égypte. Fasciné par cette coïncidence, il vend ses moutons et part pour l’Égypte. Il s’embarque sur une grande caravane du désert et en cours de route il fait plusieurs rencontres remarquables, dont un Européen qui est à la recherche d’un "alchimiste" supposé capable de changer les métaux en or.

Après maintes mésaventures, il arrive à son objectif, les pyramides d’Égypte. Alors qu’il est là à se demander par où commencer à chercher le trésor qu’il a vu en rêve, des bandits surgissent et menacent de le tuer. Mais le chef lui demande quand même ce qu’il est venu faire là. Le jeune homme lui explique son rêve. Le chef se moque de lui, lui disant qu’il a lui-même rêvé deux fois, dernièrement, qu’il trouvait un trésor au pied d’un chêne, en Espagne, mais que lui ne traverserait pas le désert pour une raison aussi sotte! Et il laisse partir le berger. Il venait de trouver son trésor
, conclut Coehlo.

À la recherche de trésors fabuleux

C’est dans ce contexte que j’étais assis là, à l’aéroport de Bruxelles, les yeux fixant le paysage à travers les énormes baies vitrées, encore anxieux, à attendre l’avion retardataire qui doit nous mener au Caire.

Qu’est-ce que je fais là? Que vais-je trouver? Les gouttes de tilleul semblent jouer leur rôle contre le trac mais la fatigue me guette, je le sens. J’y vais à mon rythme, centré sur ce que je ressens, prêt à toute éventualité, prêt à tout annuler, quitte à faire un simple aller-retour au Caire! De toute façon, le billet aller-retour est à peine plus cher que l’aller simple.

Deux photos du Sinaï (chapitre suivant)


Mine de rien, un repas succulent. Et ce pain cuit dans le sable!

Je regarde les gens passer. Ils ont un avion à attraper pour Dieu sait où. Je le répète, la solitude n’est pas facile dans ces moments. Or j'ai presque toujours voyagé seul.

Je n’ai même pas mon Walkman sur les oreilles, je ne supporte aucune musique, sauf une exception: une cassette que j’ai trouvée à Bamako et qui m'accompagnera jusqu'à la fin du voyage. C’est une compilation, "Best of love", qui compte de belles chansons inspirantes, par exemple la superbe Forever young de Alphaville et 74-75 des new-yorkais The Connells. Elles m’ont transporté, pas forcément par les paroles, mais par l’esprit qu’elles dégagent. Une chanson à elle seule peut nous redonner du courage.

Let’s just die young or let’s just live forever,
We don’t have the power but we never say never...
Forever young, I wanna be, forever young
Do you really want to live forever, and ever?

(Alphaville, Forever young)

Car c’est bien mon petit courage personnel que je (ou "qu'on") met à l'épreuve.


Ils ont une devise appelée "piastre", venant du régime anglais. Comme le Québec a aussi été colonisé par les Anglais, on a adopté le mot "piasse".

Tout cela est-il seulement ma décision ou y a-t-il d’autres forces en jeu qui me font des grands signes? Je me suis senti mieux depuis hier, à part un peu d'anxiété.

Enfin, voilà le petit avion de la KLM qui nous amènera à Amsterdam, un saut de puce de 20 minutes, à peine le temps de grimper à 3 000 mètres et de redescendre à Shipohl. De là, nous sauterons dans l’avion nous menant au Caire.
Je continue de me répéter, incrédule: "Ça a l’air si simple...", encore tenté de rebrousser chemin.
Je monte ou non?


Arrivés à Amsterdam, il faut faire vite, le long courrier de Martinair est prêt, il ne manque que nous, quelques passagers en provenance de Bruxelles. Fidèle à mon habitude, je serai le dernier à monter: je cours dans l’aéroport vers la porte 83, à l’autre bout, et c’est énorme, Shipohl! À peine assis à mon siège, nous décollons dans les minutes suivantes.  Je suis assis à côté d’un vieil Anglais qui habite depuis des années au Caire, il me donne des conseils, me rassure.

Étrangement, aussitôt que je suis dans l’avion et que nous décollons, non seulement l’anxiété tombe mais la fatigue aussi, il me semble. Je présume que c’est parce que j’avais besoin de bouger, de faire face à ma "légende personnelle", d’écouter avec confiance les directives de "l’Univers qui conspire pour m’aider à l’atteindre."

Comme j’étais très à l’avance pour le check-in, à Bruxelles, je me retrouve assis tout à l’avant de l’avion, pratiquement dans la classe affaires. Cool.   J’ai beaucoup prié ces dernières heures, pour alléger le poids de la solitude, pour être guidé. Devant les interrogations et l’inquiétude, j’ai encore une fois tout remis entre les mains du grand Ordinateur.

Je pense de plus en plus à ceux qui seront à l’aéroport à mon retour à Montréal. (NDLR: Finalement, il n’y aura qu’une personne... et demi. On y reviendra.)

Une autre renaissance

Mon arrivée au Caire a mis fin pour de bon à mes dernières inquiétude. Il est déjè 1h du matin, mais je me sens bien. Dans l’avion j’ai parlé à un autre jeune voyageur, Anthony, un Néo-Zélandais. Nous convenons de trouver ensemble un hôtel. Les passeports, l’achat de devises, l'hôtel, tout se passe avec une facilité qui me déconcerte. Il faut dire que les Égyptiens ont l’habitude avec les touristes.

Aussitôt les douanes passées, on trouve plusieurs guides "officiels". L’un d’eux nous met dans un minibus pour nous conduire à l’hôtel Ismailia, au centre de la ville. C'est le square El-Tahrir, qui est rond, ça va de soi.  À mon étonnement, les voies rapides et les rues sont presque désertes. Nous filons à vive allure. Je trouve frappant le chaos de la cohabitation des gris bâtiments récents et des mystérieuses anciennes structures.

L’hôtel Ismailia (prononcer Izmélaya) est plutôt bien pour un deux étoiles. On y retrouve la clientèle habituelle des auberges de jeunesse. Il occupe les deux derniers étages d’un immeuble qui en compte dix. L’ascenseur ressemble plus à un tout petit monte-charge. Quand j'y monte avec Anthony, le guide et nos sacs, je retiens littéralement mon souffle pendant l’ascension de 90 secondes qui m'ont paru 10 minutes.



On est reçu par Moustapha, un type rondelet d’une quarantaine d’années, très pince-sans-rire, on s’entend aussitôt.  Au matin, la réalité nous rattrape: l’incessant bruit du trafic (carrément dangereux le jour), les klaxons, les prières provenant des puissants haut-parleurs de différentes mosquées (cris désagréables), la musique émanant des quartiers autour. En fait, c’est une véritable cacophonie. Amusante, à la limite. Je me sens bien, il y a définitivement une atmosphère de vacances dans l’air; ça faisait longtemps. Moustapha s’amène, un peu poché, il a dû mal dormir. Allure très décontract, sandales bon marché aux pieds.  Je lui troque mon Walkman défectueux contre une nuitée. J’en trouverai un autre dans une boutique.


"Good price, my friend."


Les Égyptiens sont des vendeurs incontournables. Redoutables. On apprend vite le jeu: à chaque coin de rue, un type nous aborde ou feint de nous bousculer, toujours le même schéma, (en roulant les R):

- Hello! How arre you? Wherre arre you frrom?
- Ah! Canada! Good place, welcome to Cairro my frriend. What arre you looking forr? Hey! Trrust me! Come and see my shop, good prrice!

Et ainsi de suite. Je me trouve des contre-stratégies, par exemple répondre en français, assez efficace. Pour les récalcitrants trilingues, on peut faire le coup du sourd-muet qui parle en signes. Ça m’a dépanné quelques fois. C’est un aspect lassant. Malgré tout, ce sont des gens chics, cools. Une seule fois, l’un d’eux a mal réagi; visiblement vexé par mon refus de négocier, il m’a envoyé promener. Quoiqu'il en soit, on le verra, l’Égypte est un endroit où revenir, c'est indéniable.

Une seule fois, aussi, j’ai accepté d’aller voir la shop en question. Un petit homme bourru m’a bousculé sur le trottoir, s’excusant, m’invitant illico à visiter une parfumerie délirante au square El-Tahrir, propriété d’un type absolument charmant du nom de Omar.  Oui, Omar est le sosie en tout point conforme de l’acteur Omar Sharif (NDLR: le vrai acteur vit en Égypte; j'ai un doute: était-ce lui?) Sa boutique, remplie de grandes bouteilles et petits flacons de parfums raffinés, semble sortie tout droit d’un conte.



On discute longuement, de l’Égypte, du Canada. Quand je lui explique -et prouve- qu'on est le 22 mai, mon anniversaire, il me fait une offre que je ne peux refuser, sur ses parfums Touthankamon et Nefertari. Il y a des agences de voyage à tous les coins de rue et tout près: McDonald’s, Pizza Hut, Kentucky Fried Chicken et de petits restaurants-bistros où on peut déguster la pitssa aux légumes et fumer un bon coup avec ces énormes pipes shisha/hookah.



 La sécurité? Pas de problèmes, il y a des miliciens armés de mitraillettes à presque tous les coins de rue. Au centre commercial? On passe d’abord par un détecteur de métal. On ne rigole pas.


La côte d'azur égyptienne

À l’extrémité de la péninsule du Sinaï, à 700 kilomètres au sud du Caire, en coupant par Suez, existe un centre de villégiature, Sharm-el-Sheik, sur les rives de la mer Rouge. Sharm est un peu à la mer Rouge ce que Nice est à la Méditerranée, avec beaucoup moins de charmes.

Départ du Caire à 10h. Beau grand car climatisé, télé, toilette, thé, café, jus. Le chauffeur ne plaisante pas: 125 à 130 km/h. J’ai des flashs du car plein de touristes Allemands qui a sauté au Caire l’année dernière. Nous arriverons à Sharm en six heures, en comptant une demi-heure pour casser la croûte et quelques contrôles routiers.  La route est un peu monotone, pour être franc. C’est le désert, les puits de pétrole, les affiches d’hôtels genre Banana Holiday.


En route pour le Sinaï, quelques heures de route au sud du Caire.




La plage de Sharm-El-Sheik

Le Golfe de Suez à l’ouest et le Sinaï de l'autre côté offrent à voir et à rêver. Il fait beau, environ 30 degrés, l’eau d’un bleu turquoise fait un contraste exquis avec le désert. Voyage sans histoires, à part les contrôles routiers, nombreux mais assez brefs. Je vais m’asseoir à l’avant, juste à côté du conducteur pour prendre des photos et mieux apprécier le paysage.

Nous arrivons à Sharm en fin d’après-midi. Je vais à un premier hôtel qui est hors de prix mais le commis m’amène à l’auberge Pigeons House, sur la plage.

C’est propre et accueillant, franchement agréable, ma chambre très modeste est du genre "hutte". Je me sens très bien, je suis reconnaissant. Il y a un restaurant avec table d’hôte. Mais "Sharm" porte mal son nom: une petite ville plutôt moche, plusieurs touristes, italiens surtout, et peu de "locaux". La promenade sur la plage est très inventée. Tout est très cher, hôtels, restos, McDo.



Cependant, le paysage est réellement magique: dans cette région désertique, il n’y a presque pas d’arbres, la mer Rouge et le Sinaï enflammé dominent tout. Parfait pour un film. Moïse a dû tripper. Le plus beau moment doit être quand j'ai nagé dans la mer Rouge et attrapé quelques-uns des magnifiques poissons.

(Suite au chapitre suivant)
Demain, l’Univers allait encore conspirer favorablement.

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