CHAPITRE 13

DE LA JUNGLE AU RUSH DE BRUXELLES

"Pour voyager librement, il faut d'abord être solidement ancré."



Le train du Burkina Faso vers la Côte d'Ivoire.

ALLELUIA! Je suis arrivé à temps pour attraper l'avion à Bamako. J'étais prêt à quitter le Mali. Je n'ai ressenti ni tristesse ni joie particulière. Je voyais d'un bon oeil une pause en Occident. Il était temps de tourner la page, simplement. Je ne repartais pas seul: Marie-Claude (MC), une autre membre du groupe au Mali, faisait le vol de 5h30 avec moi.

Pas de pépins, sauf au moment de monter dans le Airbus. Je suis parmi les derniers. Une dernière vérification de sécurité: j'ai du métal à quelque part. Après avoir tâté mes poches, je me souviens que je porte un jack-knife dans ma bourse. Embarrassant. Le commis me gronde gentiment, comme si j'étais un enfant:

Monsieur Messier, un couteau comme ça dans un avion...?

Il le place dans une enveloppe qu'il lance dans la soute à bagages.  Autre pépin: un moteur de l'avion ne partait pas, nécessitant un examen. Or dans un avion, l'aération nécessite que les moteurs roulent. C'était notre situation. Et l'avion était bondé.  Il avait fait 48 degrés ce jour-là à Bamako. J'ai pensé perdre connaissance, vraiment.  Finalement le moteur a démarré et la clim aussi. La cabine était remplie de la fumée causée par la condensation.

J'aurai donc souffert jusqu'à la dernière minute. J'arriverai à Bruxelles après un vol de nuit, je serai désorienté, encore. J'étais encore dans la jungle ivoirienne il y a 48 heures.




On trouve parfois ce type de "chambre de motel" en Afrique, surtout loin des villes. Avec de la chance, on peut avoir un climatiseur. Mais vérifiez le filtre: je l'ai fait partout où je suis passé et il y avait un ou deux centimètres de saleté.



L'auberge "de jeunesse" (Hostelling International) de Bruxelles.


Bruxelles, on se les gèle!


L'arrivée au matin du 5 mai a été difficile, décevante: de la chaleur de Bamako on arrive ici à seulement cinq degrés, nettement sous la normale, en plus d'une fine pluie et du vent. Et MC qui était en bermudas et en sandales! Moi, j'avais prévu le coup avec ma tenue de printemps.
Mes bagages étaient lourds, j'ai eu beaucoup de difficulté à me rendre à l'auberge de jeunesse. J'étais vidé, c'en était presque dangereux.
J'ai poussé la machine, sachant que je me donnais quelques jours de repos.
Ce soir-là, j'avais réellement de la difficulté à marcher, j'avais des nausées et de l'anxiété, toujours aidé par le Lariam que j'ai pris dans l'avion.

C'est la journée de ma vie où je me suis senti le plus épuisé.

Je me donnais cinq jours pour décider de la suite: Montréal ou Le Caire?
Bien franchement, j'étais plus proche de l'hôpital Maisonneuve que des pyramides.

Le deuxième jour, j'allais mieux, je suis même sorti dans un bar, le BNG, et je me suis amusé. Mauvaise idée quand même: le lendemain je suis retombé en épuisement car le sommeil n'a pas été bon. Je jouais avec ma santé, ça me gêne de l'admettre. Malgré cela, j'ai acheté mon billet pour Le Caire, départ dans trois jours. J'ai acheté des gouttes de tilleul concentré, je pense que ça a eu un bon effet.
Ma stratégie était la suivante: Si j'arrive au Caire et que mon état ne s'améliore pas, je reviens aussitôt.
C'est en raisonnant ainsi que je me suis décidé à acheter le billet. Or, j'ai eu un regain de vie inexplicable rendu là-bas.

Le système de transport et les correspondances, comme partout en Europe, est bien conçu et efficace, presque amusant. Mais de toute façon, Bruxelles se marche très bien, elle n'est pas trop étendue. L'auberge de jeunesse Centre Jacques-Brel est moderne, propre, cafétéria, service sympathique, petit déj inclus. Je manquais de temps pour me procurer des devises égyptiennes (livres), je me suis donc rabattu sur les dollars américains, à grands frais bien sûr, en prévision de mon arrivée en Égypte.


(Ceci est dans le voyage suivant, mais je le place ici). Épisode émouvant: la maison de mon ancêtre qui est venu en Nouvelle-France en 1633. À Réveillon-en-Perche, minuscule commune en basse Normandie. Cette maison a plus de quatre siècles! Aux dernières nouvelles elle appartenait à la famille Surin.


Gaétan, le sage Burkinabé 

Le quatrième jour, je me sens mieux et le soleil est enfin revenu. J'avais pris l'habitude du soleil omniprésent. Je me ballade en ville, je vais au Virgin Store me "mettre à jour" sur les disques, je flâne aux terrasses et je me gave de complexes vitaminiques B et C, tout en continuant le traitement au tilleul.  À l'auberge, je me fais un nouvel ami, Gaétan, un Burkinabé de 26 ans qui a vécu quinze ans à New-York. J'étais dans son pays, le Burkina Faso, il y a encore quelques jours !

Nous sommes sortis en ville, nous nous sommes bien amusés. On a eu une longue discussion à propos d'un voyage comme le mien en Afrique, les apprentissages, les conséquences.

Voici les faits saillants de notre échange:

1. Les relations avec les amis ne peuvent plus être les mêmes au retour. Un réaménagement s'impose à ce niveau.

2. La famille et les amis prennent une nouvelle importance comme repères.

3. La confrontation avec soi-même: il n'y a plus d'échappatoire.

4. Notre "milieu-repère" d'origine n'est pas forcément notre pays de naissance. Pour Gaétan, même s'il est d'abord Africain, le milieu-repère sera les États-Unis plutôt que le Burkina Faso.

5. On pense se connaître, mais on ne se connaît (dans notre pays) que dans les limites de notre sécurité, créée artificiellement. Il me faut me redéfinir, encore.

6. L'Afrique doit-elle se développer ? C'est quoi, se développer, c'est-à-dire par rapport à quoi ?

Le "meilleur des mondes" se trouve peut-être au point de rencontre entre l'Occident et le Tiers-Monde, et on se dirige vers ça, avec la mondialisation des communications, le "village global". Il n'y a plus de mensonge qui tienne: chacun sait ce qui se passe chez le voisin, et la vérité est toujours porteuse de changement, tôt ou tard. L'ignorance, inversement, retarde l'évolution. Regardons l'exemple de l'influence de l'Église pendant des siècles: les élites gardaient la connaissance pour elles, car savoir, c'est pouvoir.

L'Afrique ne doit pas répéter les erreurs de l'Occident en se développant trop vite sans écouter ses besoins réels et sans vraie vision à long terme. Gaétan donne l'exemple de l'arbre: il doit faire ses racines et croître par étapes avant de donner ses fruits.

Demain, l'Égypte, la panoplie pharaonisiaque.
Pincez-moi quelqu'un.


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