CHAPITRE 9
UN DERNIER COUP DE BALAI: DU MALI AU BURKINA
À Bobo-dioulasso, le monument de la Place de la femme. Ça ne s'invente pas.
J’ai
fait un gros ménage dans mes affaires. Je réduis au minimum, j’ai
fait plusieurs petits cadeaux aux enfants.
Je suis là dans ma petite chambre poussiéreuse et caniculaire de
la concession, à contempler mon univers qui tient dans deux sacs de
voyage. Le Mali a été lourd comme première expérience en Afrique.
J’ai
aussi profité de ma fin de séjour à Bamako
pour lire, beaucoup. Le livre d’Urantia, de même que les évangiles (enseignements de Jésus) de même que Nietchze ainsi que Vexkül (Mondes animaux et mondes humains). J'ai
relu Harold et Maude (délicieux) et survolé Robinson Crusoé et Le monde de Sophie. Aussi, entre nous, La philosophie dans le boudoir (Sade), cocktail de
cochonneries et de philo-choc. Ah! oui, quelques BD. Faut
savoir rigoler.
Je me prépare à
partir encore plus loin dans deux autres pays inconnus, et cette fois je
serai seul. J’ai
l’impression que toute l’expérience m’a mené "seulement" à ça:
apprentissage de l’amour, du respect, de la foi aussi. Apprentissage du
courage, car les Africains en ont beaucoup, et de l’humilité. Je
ne suis pas nécessairement fait pour la vie en groupe. Du moins, je ne veux pas me sentir obligé de m'engager envers eux.
Je ressens beaucoup de lassitude. Pourtant je suis reconnaissant. Ce séjour malien, même marqué de bons moments, a été une
suite de petites épreuves contre ma confiance, mon estime
propre, ma capacité d’aimer. Et des questions. J’aurai une réponse finale à la toute fin (dans l’épilogue).
Voici
une histoire vécue.
Une infirmière va chez une vieille dame de 86 ans, seule et malade
dans sa chambre d’un immeuble délabré.
J’ai encore trouvé "par hasard" d’autres réponses à
la question de la souffrance.
Dans
ce numéro de Prier, on cite le sociologue Émile
Durkheim qui a dit: "Le
sens des souffrances humaines est de permettre l’ascension à un
ordre spirituel et des forces supérieures qui nous libèrent de
celles qui ont provoqué la souffrance."
À Sikasso, une malienne témoin de Jéhovah m'a tendu, spontanément, la revue "Tour de garde" qui titrait: Quand la souffrance aura disparu. Tout
un numéro sur le sujet.
"Il est
possible d’être heureux dans le moment présent où les conditions du
bonheur sont réunies. Tout est là. Nous sommes déjà dans le royaume
de Dieu. Ce qu’il faut, c’est nous éveiller. Le chemin de
l’éveil permet d’utiliser la souffrance comme matériau, afin de pouvoir
la dépasser. Ainsi, la souffrance est d’abord un potentiel d’éveil
que nous portons en nous. Le chemin consiste à se détacher des
causes, non pas les rejeter mais apprendre à les vivre autrement,
dans la paix."
C’est donc dans un état de fragilité que je me lançais encore plus
loin dans l’inconnu pour les prochains mois. Pourquoi? Juste avant de quitter pour de bon Bamako, je suis retombé sur
un grand poète québécois qui a marqué au fer rouge la fin de mon
adolescence:
Je me prépare à quitter vers le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire.
Je reviendrai à Bamako (de justesse!) seulement pour prendre le vol pour Bruxelles
Ça semble drôle à dire, mais j'ai besoin de vacances.
Chez Aly Guindo, à Sikasso, il y avait sur son mur une pensée extraordinaire:
"Les gens sont
déraisonnables et égocentriques, aimez-les quand même.
Si vous faites du bien, on vous accusera de vouloir en
tirer avantage; faites du bien quand même.
L’honnêteté et la franchise vous rendent vulnérables; soyez
honnêtes et francs quand même.
Le bien que vous faites aujourd’hui sera oublié demain; faites du
bien quand même.
Ce que vous avez mis des années à construire peut être détruit en
un jour; construisez quand même.
Si vous réussissez, vous vous ferez de vrais ennemis et de faux amis;
réussissez quand même."
Aly Guindo, Sikasso, Mali
Nous avons discuté de "tout ça" lors du séminaire final à Sébénikoro, plus précisément au centre
Centre Abbé David où nous avons pu réfléchir sous le magnifique arbre à palabre et où j’y ai eu l’occasion de prier.
"Hasard incroyable 6" (et plus)
Une religieuse m’a fait cadeau d’une Bible qui m’intéressait à cause de son analyse différente des écritures. C’est la Bible des communautés chrétiennes,
qui n’est pas recommandée officiellement par Rome. Je vois un
signet, écrit à la main, avec l’inscription: Heb
2, 14-18.
Je vais voir le passage et je lis:
"Il lui fallait donc (Jésus) ressembler en tout à
ses frères et devenir ce grand-prêtre de compassion, mais aussi
fidèle au service de Dieu (...) Il a été beaucoup éprouvé par la souffrance,
il peut donc secourir ceux qui sont éprouvés."
Avouez qu'elle est forte! Je ne prétends pas avoir beaucoup souffert; mais c'était encore une réponse directe.
Depuis quand ce signet était-il là?
Quelqu'un VOULAIT que je le trouve.
"Le hasard est l'habit que Dieu met pour voyager incognito".
Où est-il, ce Dieu qui
permet cette souffrance ?
Voyant une prière affichée au mur, l’infirmière se demande:
Où est-il, le dieu de cette femme?
L’infirmière met de l’ordre, réussit à trouver de quoi à donner à
manger à la dame, assise devant la fenêtre obstruée, les lèvres remuant vaguement.
L’infirmière se demande encore:
Seigneur, comment avez-vous pu
abandonner cette pauvre femme?
Elle nourrit la femme, appelle un médecin. Le taxi
arrive. La dame prend le bras de l’infirmière et une fois assise elle
se penche vers elle pour dire: Merci,
merci, en lui pressant la main. L’infirmière entend alors,
aussi clair que quelqu’un parlant à haute voix, la réponse à sa prière:
Non, je n’ai
pas oublié cette femme. Je t’ai envoyée.
Un sentiment de honte, puis de gratitude, envahit l’infirmière."
(Par Hilary L. Lorhman).
À Sénénikoro, en plus du signet dans la Bible, je suis "tombé" sur la revue L’actualité religieuse (no.
163, fév. 98) qui demandait à la une: La souffrance est-elle divine?
Puis la revue Prier (no. 116, nov. 89) qui titrait: La
prière d’adoration contre la peur.
Et enfin, encore à Sébénikoro, je
me suis familiarisé avec un enseignement
bouddhiste au sujet de la souffrance:
Quand même, Garneau, le reste du périple n’allait pas être "reposant", quoiqu'étant excitant en nombre occasions.
Et mon pire malaise est un fauteuil où l’on reste
Immanquablement je m’endors et j’y meurs.
Mais laissez-moi traverser le torrent sur les rochers
Par bonds quitter cette chose pour celle-là. Je trouve
l’équilibre impondérable entre les deux
C’est là sans appui que je me repose.
Hector de Saint-Denys Garneau (Regards et jeux dans l’espace)
J'ai surestimé mon endurance. Si j'avais pu savoir que la suite du voyage allait être si éprouvante...
Revenu à Montréal, tout allait me retomber dessus.
Je ne serais ni le premier, ni le dernier.