CHAPITRE 8

LE HASARD, MASQUE DE DIEU


"J’ai touché à toutes mes poches, pour me rendre compte que ce qui me manquait, c’était par en dedans.
Je me sentais seul comme une rivière abandonnée par des enfants...
Pour aider le monde, faut savoir être aimé." (Paul Piché, "L'escalier")


Des coquilles peuvent subsister dans cette version internet, et certains liens peuvent être brisés.




Les trois semaines que j’ai passées à Bamako furent assez fructueuses malgré tout. J’ai eu tout le temps de travailler mon rapport final ainsi que quelques articles à être publiés au Québec. Les cinq autres membres du groupe qui habitaient depuis le début à la "concession" à Bamako ont été gentils d’accueillir ce visiteur imprévu.

Avec bonheur aussi j’ai trouvé deux cafés internet où je pouvais travailler mes textes mais surtout écrire à tout le monde, presque tous les jours. Voici les dernières lignes de mon rapport de stage:

"Beaucoup de poussière a été soulevée dans ma vie depuis environ un an. Je suis quand même heureux. Un peu troublé, très fatigué, bousculé, mais heureux. Je suis plus (+), comme je le souhaitais. Me restera à prendre des décisions: comment faire fructifier ces apprentissages, dans ma vie et sur les chemins futurs.

Je suis à un stade de la vie qui correspond habituellement aux tournants, aux grandes décisions. Pourtant, j’ai l’impression que tout me reste à faire. Cela ne me décourage pas, au contraire. Devant ces nouveaux défis, quelle sera mon attitude? Quels seront mes choix?

"Ma vie sera en bonne partie ce que je voudrai qu’elle devienne, en accord avec ma foi; elle a été, je crois, ce que j’ai voulu. Petits pépins et grands bonheurs inclus."


Il faisait encore plus chaud à Bamako qu’à Sévaré. Rappelons qu’à cause de El Nino, des records de chaleur vieux de 30 ans ont été battus en Afrique de l’Ouest. Pendant les mois de février, mars et avril, le mercure n’a que rarement descendu sous les 40 degrés celcius. À mon départ, le 4 mai, il avait fait 48 degrés à Bamako et 50 à Tombouctou.

Même les Africains se plaignaient:  "Ah! non, c’est trop chaud, là".  À cette température, les gâteaux lèvent tout seuls. C’est peut-être pour ça que je suis tombé malade dès le premier soir. Ou peut-être est-ce à cause des petits fours achetés dans une gargotte quelconque entre Sévaré et Bamako. Peut-être enfin le mélange de la chaleur, du gros cigare et de la bière que j’ai pris à mon arrivée.

Tout ça pour dire qu’après plusieurs mois en Afrique sans malaise physique majeur, je me suis enfin tapé une tourista infernale. Le pire a duré environ 72 heures, mais j’ai été malade pendant cinq jours, parce que je refusais de prendre le puissant antibiotique Cipro. Ça a failli tourner mal. J'ai enfin décidé de prendre le médicament, accompagné d’un traitement adéquat (réhydratation, bananes et yogourt). Je prenais au moins cinq douches par jour. Je restais parfois accroupi, poupée sans vie, sous la douche fraîche.
Welcome to Bamako, j’en menais pas large.

Ces quelques jours ont été très durs sur les plans émotif et physique. J’ai vécu toutes les émotions, de la rancoeur et de la colère même, vite chassés; de la déception aussi. Ces quelques jours ont été difficiles surtout parce que Roselyne a pensé me renvoyer au Canada (pourquoi? sécurité nationale?) Elle l’avait déjà fait et ce geste avait été très critiqué. Heureusement pour moi, elle a mis de côté cette option.

Dans un fax que j’envoyais à tout le monde au Québec, le 27 mars, je commence ainsi, essayant d’en rire:

"Que serait la vie sans quelques mésaventures et autant d’apprentissages? Ça ressemblerait à un job typique de fonctionnaire au ministère des Affaires indiennes, c’est-à-dire pas jojo. Heureusemenet, ce n’est pas mon cas!"

Je terminais la même longue lettre ainsi:

"Le job de terrain, la brousse, c’est peut-être cool dans les films mais la vraie vie par ici est souvent faite d’ennui, de sous-stimulation, d’absence de ressources, de merde, de soif, de maladie (moins maintenant, heureusement).
Elle est aussi faite d’autres petites choses plus belles qui expliqueraient à ceux, même des Africains, qui se demandent encore comment ces gens, les démunis parmi les démunis, font pour être heureux malgré tout?  La brousse, c’est troublant pour toutes ces raisons, pour un occidental. Mais qu’ai-je pensé, ciel?"


  

Cette question bête qu'on entendait dans les discussions montre une mauvaise foi crasse. Comme si on était dans un concours d'endurance! En réalité, personne n'est "fait" pour rien, on S'ADAPTE. Et je l'ai fait. J'ai eu un choc en arrivant au Mali. J'avais une émotivité exacerbée par les quatre mois précédent à Rivière-du-Loup et, j'en suis convaincu, par le Lariam. Mais j'ai trouvé les moyens de surmonter. Et je suis retourné trois fois travailler en Afrique (plus deux fois en Haïti) sans choc majeur ces fois-là. Un total de 6 pays et presque cinq ans.

Bel exemple de mauvaise foi: à Bamako pendant ma tourista, au milieu de la nuit, me sentant bon pour l'hôpital, j'envoie un garçon chercher Roselyne. Quand elle arrive, elle me dit la fameuse phrase. Oh, avec douceur, mais quand même! Écoute, chose, j'ai une tourista!

Je lui ai donc répondu ceci:

"Fait pour l’Afrique, je ne peux répondre, mais le Mali actuel, je ne peux pas y être heureux. On ne sera peut-être pas de grands amis, mais de bonnes connaissances." Et je ne suis pas seul à penser ainsi, please!

Je n'oublierai jamais quand Caroline Raymond m'a dit: "On se demandait ce que tu étais venu faire en Afrique." Quelle condescendance! Encore aujourd'hui je n'en reviens pas.
Quelques exemples de ce que j'ai répondu:
- Qui est "on"?
- À Rivière-du-Loup nous avons tous dû expliquer à répétition nos motivations; je pense avoir été assez clair.
- Pour qui vous prenez-vous pour faire ce jugement sur les motivations d'autrui et les choses qu'on souhaite découvrir?
- On apprend de nos réussites mais bien plus de nos revers.

En tout cas j'ai profité de Bamako pour aller à la piscine (Hôtel de l’amitié), shopping, crème glacée et bons restaurants.
Incidemment, c’est probablement à la piscine que j’ai chopé un microbe quelconque: otite purulente et angine. Consultation chez le médecin, médicaments... Je n’aurai été malade vraiment que deux fois durant tout le séjour, et les deux fois ce fut à Bamako.


Hôtel de l'amitié

Anecdote: mon lecteur de disques laser est toujours défectueux, ne fonctionnant que sur les piles. À Sévaré, on m’avait recommandé à un réparateur. On disait de lui: Tu vas voir, il est fort. Quand je lui ai montré mon lecteur banal, le type m’a simplement dit:
"Je n’ai jamais vu ce genre de chose."

Coïncidences: "Le hasard est l’habit que Dieu met pour voyager incognito"

Le fait saillant de ce voyage est qu'il fut marqué d’une longue suite de présumées coïncidences (synchronicités) qui m’ont parfois laissé pantois, surtout quand il s’agissait de réponses à des questions intérieures adressées à l’Univers. Dans ce livre j'en rapporte une douzaine. À Bamako, en particulier, j’en note trois fortes. Je les résume ici.

"Hasard incroyable 1":
Avec ce voyage, j’espérais trouver des réponses à la question de la signification de la souffrance. En en mars, à Sévaré, j’étais chez Roman et Éva, pour un dîner. Soudain, arrive à l'imprévu l’abbé Paul, prêtre catholique Noir, qui se joint à nous.

À la toute fin du repas, pas avant, le mot "souffrance" apparaît dans la discussion, mais brièvement car l’abbé doit quitter. Avant de partir sur sa motobécane, grand boubou bleu au vent, il a le temps de me rappeler l’exemple d’une femme enceinte : quand elle accouche, elle oublie ses souffrances.

Trois heures plus tard, je suis chez moi et j’ai tout oublié, je le jure. J’ouvre l’évangile pour tenter de trouver un passage que je cherchais depuis longtemps (je le retrouverai plus tard, avec un autre hasard frappant).  Il y a une brindille que j’ai placée là cinq mois auparavant, quand j’étais dans le bois à Rivière-du-Loup. J’ouvre à la brindille et je tombe pile sur Jean, chapitre 16:

"La femme qui enfante est dans les souffrances, mais sa tristesse se change en joie de ce qu’elle a mis un homme au monde (...) De même pour vous, personne ne vous ravira votre joie (...) Demandez et vous recevrez."

"Beau hasard, rien d’autre"?
Pensez-y: il semble que j'ai placé cette brindille à cette page "parce que" j'en aurais besoin cinq mois tard.

"Hasard incroyable 2":
À Sévaré, après ma journée la plus difficile, je reviens du travail le moral à terre. Je me sens infiniment seul.  J’entre dans la cour, mon proprio Mamadou, est là avec Sali, comme souvent le soir, devant la télé qu’ils ont sortie. Je m’assois avec eux, silencieux. L’émission est moche, comme si j’avais besoin de ça!

J’allais quitter quand, soudain, débute une émission à propos de Robinson Crusoé. Assitôt, les similitudes entre son expérience et mes sentiments du moment me frappent comme la foudre: naufragé....l’île du désespoir...seul...il décide de se prendre en main et de faire au mieux à partir de ce qui lui reste... (sur l’épave du bateau). Un jour, Robinson ouvre une Bible trouvée sur l’épave:
"Jamais je ne te délaisserai; jamais, jamais je ne t’abandonnerai, dit le Seigneur..." 

J’étais sidéré.

"Hasard incroyable 3":
À Bamako, je flâne à l’Hôtel de l’Amitié, dans la boutique de livres. Je ne pense vraiment plus à Robinson (ça remonte alors à deux mois). Encore une fois je le jure, mon regard s’arrête pile sur le livre de Daniel Defoe, Robinson Crusoé. J’achète, j’ouvre, et dès la préface ça me rentre dedans:

"Defoe lui-même fut un solitaire, il ne trouva jamais sa place dans la société de son temps (...) Robinson est le frère et le modèle de tous ceux qui se sentent rejetés, oubliés, naufragés. Il montre qu’avec l’aide de Dieu, l’homme peut triompher de l’adversité et se faire une place au soleil. La leçon qu’il donne rejoint les vers de Vigny: Fais énergiquement ta tâche et marche dans la voie où le sort a voulu t’appeler..."

Quelle sorte de "hasard" était-ce là?


Bamako, quartier Hippodrome, où plusieurs de notre groupe ont séjourné, alors que d'autres étaient isolés, par exemple moi-même à Sévaré.

"Hasard incroyable 4":
Quelques jours plus tard, je suis dans un taxi à Bamako quand une motobécane nous dépasse. J’ai le temps de remarquer un collant sur la moto: La souffrance...  Je demande au conducteur de rejoindre la moto et je peux alors lire le collant: La souffrance est un conseil.  J’étais subjugué. J’ai levé les yeux au ciel: Ça va, ça va, j’ai compris!  

Un autre hasard plus bas, et d'autres à venir plus loin...


 Quelques chansons qui parlent fort

À Bamako, je réalise qu'avec les cinq mois d’Afrique et mon séjour à Rivière-du-Loup (l’Isle-Verte) où j’ai aussi vécu une forme d’isolement, ça fait neuf mois que je suis déconnecté de mon milieu. Ça explique des choses.

 "Who could have seen you’d be so hard to please, somehow... But you’re just a poor boy, a long way from home... And it’s wake up time, time to open up your eyes. And rise. And shine."    (Tom Petty, Wake up time)

 "Give it your best, and don’t you worry about what some may say. Remember that life is what you choose. Follow your dreams and do what you love to do."    (Poco, Follow your dreams)

 "Je suis d’la mauvaise herbe, brave gens... C’est pas moi qu’on rumine et c’est pas moi qu’on met en gerbe. Je pousse en liberté dans les jardins mal fréquentés. Et je vous demande pourquoi bon Dieu ça vous dérange que je vive un peu."   (George Brassens, La mauvaise herbe)

 "I’ll be back in the high life again; all the doors I’ve closed one time will open up again." (Steve Winwood, Back in the high life)

"Hasard incroyable 5" en bonus:
J’étais au café internet (Datatech) à Bamako, quand surgit un type à l’air louche, genre motard méchant. Vraiment, pour un moment, j’étais intimidé. Il détonnait tellement dans le décor!   Peu après, on échange quelques mots. Il se fait appeler Pluto, vient de Toronto, copain des Hell’s Angels (je lui raconte que les Death Riders étaient mes voisins à Sainte-Thérèse). Sur sa carte d’affaires, il est world traveller, artist, poet, tatooer; sa Harley est ici en Afrique car il veut traverser le continent et il a son propre site web.



En tout cas Hell’s angel ou pas, il a eu la trouille une fois en traversant le désert en Mauritanie, quand la traversée se faisait interminable et les nuits parfois menaçantes.  Il se trouve qu’il avait des trucs à me dire sur la vie, si on peut dire. On ne sait jamais...

Par email, je raconte cette rencontre à mon frère Richard, sa réponse arrive peu après par fax: avec Reina et Yolande, au Sénégal (!) ils ont rencontré le même Pluto sur la même Harley.  L’Afrique est immense, 2,5 fois le Canada. Mais l’Afrique est aussi toute petite.



Avant de baisser le rideau...

Juste avant de quitter le Mali pour le Burkina et le reste du voyage, j’ai reçu quelques dernières lettres qui m’ont fait énormément plaisir, qui m’ont redonné courage. À plusieurs, j’ai écris des lettres parfois très émotives. L’une en particulier, à Nathalie et Roch, finit comme suit:

"Je ne peux pas dire ici toutes les choses que j’ai apprises, sur MOI plus que sur l’Afrique, mais il y en a une bien claire, en particulier: l’HUMILITÉ, dans le sens de ne pas avoir TROP confiance en soi, dans le sens d’avoir plus confiance en l’autre, dans le sens de ne pas s’imaginer qu’on comprend tout, même avec deux baccalauréats. L’humilité, enfin, qui est nécessaire pour vivre vraiment la foi et connaître l’amour. L’humilité qui doit venir avant, pour arriver ensuite à la foi et l’amour. Peut-être serai-je une meilleure personne à mon retour? C’était un grand objectif pour moi..."

J'apprends.

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