CHAPITRE 7

LE CONTRAT AVEC L'ONU (voir mon rapport plus bas)

À ne regarder que l’arbre devant soi, celui-ci peut nous cacher toute la forêt.

Des coquilles peuvent subsister dans cette version internet, et certains liens peuvent être brisés.

J’ai placé ce proverbe de la forêt au début de mon rapport car il est très pertinent: ne pas se fier aux apparences, ne rien prendre pour acquis, penser global plutôt que cartésien.
Surtout en Afrique.

Je veux aussi rappeler la maxime que j'ai apprise de Pasteur, illustrant un autre apprentissage important de mon mandat:

"L’Afrique n’aime pas la vérité. Si tu la dis quand même, on ne te traitera pas de menteur, mais on te fusillera à titre d’agent subversif."

Bien sûr, dans cette phrase, on peut changer le mot "Afrique" pour un autre.


L'atelier de la plateforme multifonctionnelle.



Je n’ai pas été fusillé, mais...

Mon contrat était entamé aux trois quarts. J'ai remis mon rapport de recommandations à mon patron Roman Imboden, un gros Suisse qui a fait 25 ans de coopération africaine. Dans ce rapport, je disais tout haut des critiques pensées tout bas par plusieurs des 50 employés (presque tous Africains). Roman m'avait alors fait comprendre que j’étais en terrain glissant. Comme je l'ai mentionné précédemment, il a imité une lame passant sur son cou.
Voici mon rapport (PDF) , version réduite; j'ai supprimé quelques maladresses. Cliquer simplement, ou faire clic-droit et "enregistrer sous" (vers votre ordinateur).

L'attitude de Roman m'avait franchement étonné car jusque-là mes relations avaient été excellentes avec lui et son épouse Éva, une Autrichienne qui m’entretenait à coups de gâteaux sablés faits maison et de délicieux cafés turcs. Elle avait d’ailleurs guéri ma pharyngite avec un grog que je ne suis pas prêt d’oublier.

J'ai donc compris que je venais de piétiner des plates-bandes que je n’avais pas vues. J’avais peut-être outrepassé mon mandat, pas parce que j'avais interrogé les employés (c'était prévu dans mon mandat) mais parce que j'ai rapporté franchement leurs doléances dans mon rapport.

Pourtant, au début, Roman et Anna Crole-Rees (consultante européenne et ma superviseure)  m’avaient donné "carte blanche" pour tenter d’améliorer la circulation de l’information dans le projet.
Roman m’avait bien dit au début:

Apprend des choses, apprend-nous des choses, et ne fout pas le bordel.

Mais "l’accident" est arrivé. La diplomatie (la confiance, disait Roman) ne s’en est pas remise.  Cependant, mes relations avec Anna, Lionel et les Africains sur le projet étaient restées très bonnes. Nous avons mis fin au contrat à trois semaines de la fin. Je n’étais pas si fâché: je retournais finir mes trois semaines à Bamako, là où on ne manque de rien...

Le troisième européen, Lionel Ferrari, est un autre gaillard très baraqué. Né au Niger de père Français et de mère africaine, il me comprenait, il était de mon côté pour ce qui est de mes "recommandations", tout comme Anna d’ailleurs : eux-mêmes soulevaient ouvertement des réserves quant à la bonne marche du projet. En fait, je n’avais rien inventé : Roman semblait tassé dans un coin, mais restait en contrôle de son projet, car c’était bien le sien, c’est vrai.

Rappelons que cet important projet de développement préindustriel a été créé par l'ONUDI, mis de côté pendant quelques années, puis relancé pour de bon avec un budget de 11 millions $US étalés sur cinq ans. Énorme.

Le projet "plateforme multifonctionnelle" vise à installer dans des centaines, sinon des milliers de villages au Mali et au Burkina une plateforme constituée d’un puissant moteur et d’une cabane protégeant l’installation. Le village devra en faire la demande et participer à son installation, son financement et sa gestion. Le moteur pourra apporter au village de l’électricité (génératrice), l’eau courante (pompe), et un moulin à grains et céréales. Il doit être géré par un comité de femmes. Le tout vise une prise en main par le village de son propre potentiel ainsi qu'un allégement de la tâche des femmes.

Sauf que dans les faits, quand moi et Anna sommes arrivés, nous nous sommes trouvés face à un "foutoir", aux dires mêmes de Anna, sur tous les plans, matériel, information, comptabilité, organisation du travail.  Mon mandat avait bien commencé et les relations étaient bonnes. Mais au fil des semaines, nous avons tenté sans succès de redéfinir mes tâches. J'étais supposé venir faire un stage en journalisme. Imaginez mon désarroi en arrivant à la "shop" de Sévaré!

Je voulais vraiment arriver là-bas et faire une différence, laisser quelque chose. Mais j’ai fait la "petite erreur " qui survient souvent chez les coopérants: lors d’un séjour en coopération en Afrique: on ne fait pas nécessairement les apprentissages qu’on prévoyait faire avant de partir.

Dans mon cas, il y a eu peu d’apprentissages "professionnels". Ils furent plutôt liés à l’identité, le contact avec les autres, les valeurs, dont l’amour surtout, universel et gratuit. Sur le coup, je semblais être tombé dans le panneau (l'erreur des nouveaux coopérants). C'était la déception. Mais les leçons n’allaient être que plus significatives. Pas juste durant le contrat et en Afrique, mais jusqu’à mon retour à Montréal six mois plus tard.  À la fin de mon rapport, je tente de répondre à la question que se posent tous les coopérants tôt ou tard: Qu’est-ce que je suis venu faire ici ? Je réponds entre autres choses :

"Même si 50 personnes m’avaient prévenu que je n’étais pas prêt pour l’Afrique, je serais allé quand même, car je suis libre. Énorme apprentissage. Libre de vivre, de mourir, de m’approcher de cette personne ou de celle-là. Libre de m’exprimer et d’aller au bout de mes choix. Libre aussi de rendre grâce, dans le sens de se sentir reconnaissant. Envers qui? Comme on veut! Mais être reconnaissant.
Libre, enfin, de croire. La foi et la religion viennent d’abord d’une relation intime, intérieure, avec le divin. Pour ma part, dans cette expérience de foi nouvelle, le Mali a été un décor nouveau et une circonstance facilitante, à cause de l’isolement et aussi à cause des confrontations avec moi-même et avec la liberté... des autres."

Je voudrais placer ici un billet assez frappant de Sandrine Hubaut paru dans Science et Vie en 1996:

"L'EFFONDREMENT DE L'OCCIDENT
LA GRANDE IMPLOSION

An 2002: l’Occident s’effondre dans la violence, victime de sa décomposition intérieure. Convaincu d’incarner le type achevé de la civilisation, il n’avait pas perçu la gravité des symptômes annonçant sa faillite.
Le culte du profit, de l’efficacité, du rendement, avait asservi les sociétés industrielles à la rationalité économique et à la logique d’exclusion. L’individualisme exacerbé, l’anonymat des grandes villes et l’emprise technocratique avaient détruit la communauté charnelle.
La résurgence des croyances les plus irrationnelles, l’engouement pour la réalité virtuelle, l’obsession de la sécurité, les comportements suicidaires, traduisaient l’angoisse et la schizophrénie d’une société privée de repères.
Cette civilisation technicienne s’était révélée incapable de donner un sens à la vie, faute d’avoir su préserver la poésie de l’existence.
Désenchanté par la science, le monde avait perdu ses résonances poétiques. Son incapacité à souder les âmes autour d’un projet spirituel l’avait condamner à subir le même sort que les autres grandes civilisations, la disparition."


En réfléchissant à ça, j'écoutais John Mellencamp:

Hello, hello, all you losers,
Bonjour vous tous les perdants,
You got nothing to fear (but fear itself)
Vous n'avez rien à craindre, sauf la peur elle-même
This may not be the end of the world,
Ce n'est peut-être pas la fin du monde
but you can see it from here.
Mais tu peux la voir d'ici.

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