CHAPITRE 6

TOMBOUCTOU: LA SURVIVANCE

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À lui seul, son nom évoque encore, aux oreilles des étrangers, magie, mystère, inconnu.

Par la piste, six à neuf heures ("tout dépend"). Avec le petit avion russe, moins d'une heure. À vous de choisir.

Tombouctou, aux portes du désert, est l’une des plus vieilles villes d’Afrique et à ce titre l’histoire fabuleuse de ce continent méconnu lui doit beaucoup.

Cependant, même les plus grandes civilisations sont passées et ont disparu. Les empires soudanais des premiers siècles de l’ère chrétienne, dont ceux du Mali, n’y ont pas fait exception.



Il en va ainsi de Tombouctou, jadis le carrefour de commerces fabuleux. On y arrivait du sud, en pirogue sur le fleuve Niger, pour en repartir vers le nord, à dos de chameau. Les azalaï, grandes caravanes de sel traversant le Sahara, en alignaient plusieurs milliers.



La "ville aux 333 saints " tient son nom de Tim Bouctou: le puits de la femme Bouctou. À moins que ce ne soit Timbuktu: la femme aux grandes narines. Dans les deux cas, elle est une femme qui ne se laisse pas aisément conquérir. Car ne débarque pas dans la capitale du désert qui veut et n’importe comment. En tout cas, soyez préparé; et patient.




La cité a été fondée dans la nuit des temps par les habitants de Djenné il y a 1300 ans. On situe l’apogée de sa gloire au 14e siècle mais au seizième elle était encore une grande cité, avec ses 100,000 habitants dont 20 000 étudiaient le droit et la théologie. Aujourd’hui, on y recense à peine (mais quand même!) 15,000 habitants.

Plus tard, les Marocains sont venus et ont vaincu. Les pillards Touareg ont achevé la ruine aux 18e et 19e siècles. De nos jours, son ennemi le plus redoutable est le désert du Sahara qui avance, un peu partout au Sahel, à raison de deux à dix kilomètres par année.

Le spectacle de cette grande devenue moribonde, menacée par les dunes qui l’enserrent, est extrêmement triste aux yeux de n’importe quel voyageur. Il y a un siècle déjà, l'explorateur René Caillié l’avait constaté au terme de ses aventures:

"Revenu de mon enthousiasme, je trouvais que le spectacle ne répondait pas à mon attente ; en un mot, tout respirait la plus grande tristesse; j’étais surpris du peu d’activité, même de l’inertie qui y régnait."



Les guides de voyages eux-mêmes préviennent leurs lecteurs de cette réalité, comme on l'a fait avec nous. Les touristes en mal d’authentiques péripéties continuent d’y débarquer, bon an, mal an. Il est vrai que Tombouctou, si elle n’est plus une ville interdite, a conservé sa personnalité mystérieuse et secrète. Elle a su garder son charme évocateur du prestige passé. Elle se dresse encore, défiant ce monstre qu’est le désert.

La cité aux mille secrets

Carrefour culturel et commercial, elle a accueilli plusieurs races et civilisations: Touaregs et Arabes, Songhaï et Bella. On y a constaté que presque tous parlent le tamacheq et l’arabe. Trois grandes mosquées, plusieurs fois centenaires, y ont été érigées aux 14e et 15e siècles. Elles ont abrité les marabouts, qui gouvernent toujours les Tombouctiens au nez des autorités administratives nationales. Depuis des siècles, le Conseil des marabouts est celui qui prend les "vraies" décisions publiques et sociales.



Mahamane Alassane Haïdara parlait ainsi de sa ville natale:

"Le mystère de Tombouctou se trouve dans ses mares peuplées de génies surnaturels, dans ses ruelles hantées, les soirs d’hiver, par des esprits; il se manifeste aussi dans ses amulettes et ses talismans, dans les pratiques des guérisseurs, les cérémonies initiatiques de ses confréries, qui conduisent à la vérité suprême et à la sainteté. Enfin, ce grand miracle civilisateur qui s’est renouvelé à travers les âges n’est-il pas un autre mystère?"

Des grands marchés d’autrefois, il ne reste guère qu’un vague souvenir. Les artisans ne sont pas nombreux et ceux-ci sont rassemblés au marché, par ailleurs assez pauvre.  Mais la ville garde un joyau en son sein. Un centre de documentation d’une immense richesse où on a préservé jalousement des milliers de manuscrits, écrits à 80% en langue arabe, le reste en songhaï. Plusieurs milliers de ces manuscrits ont été réunis, plus de 2500 originaux et 600 autres portés sur microfilm. Les textes, qui recèlent une grande partie de l’histoire africaine ainsi que d’ailleurs dans le monde musulman, proviennent exclusivement d’auteurs régionaux et n’ont jamais été publiés. Ils pourraient révolutionner l’histoire de l’Afrique de l’Ouest.

Le Centre Ahmed-Baba est devenu opérationnel en 1977, sous la protection de l’UNESCO.



Tous les voyageurs s'accordent pour dire que Tombouctou est difficile d’accès. C'est un euphémisme que je confirme. Aventuriers authentiques seulement. La soit-disant route suit un tracé très approximatif sur les 300 kilomètres séparant Mopti de Tombouctou. Certains s’y sont perdus et il faut parer à tout dans ces régions désolées. La voie du fleuve est une bonne idée et peut même s’avérer un voyage agréable en période de crue de juillet à octobre (j'étais là en période de décrue profonde), alors que les grands bateaux sont en fonction.

Les voyageurs choisissent même souvent de poursuivre leur périple jusqu'à Gao. Cependant, Tombouctou n’a pas d’accès direct sur le fleuve ; elle en est séparée par quelques kilomètres.

La dernière option, moins romantique et instructive mais riche en émotions vives, consiste à utiliser l’un des avions russes de la flotte désuète que le Mali exploite encore à partir de l’aéroport de Sévaré, à 10 kilomètres de Mopti.

Citée perdue, Tombouctou? Tous les chemins y mènent, avec un peu de persévérance.

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