CHAPITRE 4

L'impossible survient!

Ce chapitre est le plus long. Entièrement réécrit. J'y parle de ma vie à Sévaré, de la visite de ma famille et des missions rocambolesques en brousse.
Des coquilles peuvent subsister dans cette version internet, et certains liens peuvent être brisés.

Malgré les aspects moins agréables de la vie à Sévaré, j’y ai été un citoyen de passage relativement heureux. On tâche de s'y faire, malgré les loisirs qui y sont limités, la restauration et parfois la nourriture elle-même (surtout en saison sèche), la difficulté de trouver des rafraîchissements tant recherchés à 40 et plus!
Côté culture, à Bamako on trouve des endroits comme le Centre culturel français ou des cinémas, par exemple.
À Sévaré, rien de tout ça.


Tour de dromadaire.

Bien sûr, on peut joindre un "grain", groupe qui se réunit pour partager chansons, contes et autres traditions. Je dirais, prudemment, qu’une fois adapté à aux contraintes, il peut faire bon vivre dans le coin. Le train de vie y est très détendu. Car on trouve à Sévaré tout le nécessaire. Et dans la ville voisine, Mopti, il y a un centre hospitalier bien coté en Afrique de l’Ouest.

Journée typique à Sévaré

Je m’éveille aux cris lointains des ânes, des chiens et des poulets, vers 6h. En février, le soleil se lève vers 6h30. Moi qui suis lève-tard, ici je n’ai aucun problème à suivre ce nouveau rythme. Le matin est bon à Sévaré. Il est surtout frais. En prenant le petit déjeuner, je mets toujours de la musique, très souvent le Québécois Kevin Parent qui est devenu mon ami secret durant tout ce voyage.

    ... Je veux changer de branche
   Filtrer mon passé pis sortir mes vidanges; 
   Et prendre le temps de faire la paix avec quelques souffrances."



Devant ma porte (Ouagadougou)
   
Le jour se lève lentement, le ciel est joliment coloré. Je sors me laver le visage. Le jeune Abdoul est là, prêt pour l’école. Parfois, nous partons ensemble à vélo, ça lui fait plaisir.  Sa mère Sali est déjà partie au marché et Mamadou fait aussi sa toilette. Il semble que les Maliens ne vous parlent pas le matin avant d’avoir fait une toilette, question de respect, de religion peut-être.

La bonne, qui fait plus que ses 18 ans, s'affaire déjà. Je lui donne ma lessive et l'argent; tout sera prêt à mon retour en après-midi. Ici, la lessive sèche en un temps record! J'ai mon walkie-talkie, verres fumés, foulard pour protéger la tête. Il fera un soleil de plomb, encore. À vélo, les trois kilomètres qui me séparent du bureau sont un moment privilégié de la journée.


Notre "shop" à Sévaré (ONUDI, plateforme multifonctionnelle)

Je fais toujours le même trajet, je croise les mêmes personnes, certaines ont maintenant l’habitude de me saluer, parfois par mon prénom au lieu de l’habituel toubab!   Parmi mes préférés du matin, Tom Petty et son superbe album et chanson du même titre: "Wildflowers" (Youtube):

"You belong, among the wildflowers,  You belong, in a boat out at sea...  You belong, in a place you feel free."


Lieu de travail: la "shop" ONUDI

Rappelons que j'avais demandé au CFCI de me trouver un travail en journalisme ou information, et cela à Bamako. Au lieu de ça je me retrouve dans un atelier de mécanique dans le sable à Sévaré. Complètement aux antipodes. Ma déconfiture était énorme. Et pourtant j'ai réussi à atteindre mes objectifs.

Une grande cour, deux ateliers mécaniques et deux roulottes. Les lignes de la Sotelma (Société de téléphone du Mali) sont si hasardeuses qu’il est beaucoup plus facile de téléphoner par satellite à Montréal qu’à la ville voisine située à 10 kilomètres. C’est comme ça.

Le matin, pas de presse. Sauf pour le patron, Roman, qui s’énerve. Mais n’est-ce pas son projet, ses employés, son royaume? Juste en face, de l’autre côté du goudron, c’est la savane arborée; le soleil se lève à travers les baobabs et les éternels manguiers.


La plateforme multifonctionnelle. Au dernières nouvelles, plus de 3000 plateformes existent au Mali et au Burkina Faso. Ses principales utilités: moudre les grains, produire de l'électricté et l'adduction d'eau.

Il y a dans ce ciel une couleur nouvelle pour moi. Tiens, un jeune berger avec ses chèvres et moutons. Mais d’où sort-il celui-là?   S’approchant, les cabris ramasseront goulûment les miettes autour de la gargotte tenue sous un toit de paille. On y prend un Nescafé au lait en poudre Nestlé. On y fait frire des petits gâteaux le matin, puis des brochettes de viandes et des bananes plantains le midi. On arrose de lait ou du délicieux dah-bleni, très semblable au jus de canneberges.

Ai-je l’air de raconter des vacances dans le sud? Rappelons, pour éviter tout malentendu, que ce n’est pas du tout le cas.

Normalement, les employés prennent la pause à midi et reviennent à 15h pour terminer à 18h, tradition africaine, chaleur oblige. J’en profite au contraire pour travailler au frais. Ma journée finira entre 16h et 18h.   Nous parlerons plus en détails de mon mandat au chapitre sept.

Les soirées? Ma foi, on les occupe... On finit par trouver quelque chose. Mamadou possède un poste télé couleur; nous regardons les informations ou le sport, surtout le soccer. Parfois, nous sommes une dizaine devant l’écran. Ce sont aussi des moments privilégiés "d’échanges interculturels".  

Une seule fois, le jeune beau-frère de Mamadou m’a mis mal-à-l’aise en me prenant à part pour me remettre une note disant qu’il avait besoin d’argent pour régler une affaire avec une femme. Je lui explique poliment mais fermement que je ne suis pas riche et que je ne suis pas l’homme de sa situation. Il s’est excusé et par la suite nos relations sont restées courtoises. C’était un test.

Photos: Un des épisodes les plus bizarres (raconté plus loin): maman, mon frère et la belle-soeur qui sont venus me retrouver à Sévaré, arrivant tard le soir après onze heures de route.

Je reviens à la maison vers 17 h pour me rafraîchir, travailler, lire un peu ou écrire. Puis en début de soirée je repars à vélo dans les rues sombres et sablonneuses pour aller au restaurant sénégalais tenu par Toumani.  Je deviens un habitué remarqué, avec mon vélo de luxe. Toumani, son épouse et la jeune serveuse Koumba deviennent mes amis. Les plats de pâtes, riz, poisson ou viande et les salades sont en général très bons, pour quelques dollars, incluant breuvage et café. On y fait toutes sortes de rencontres, des Africains, des Peace Keepers Américains, des Canadiens. J’apprends que je ne suis pas le seul à vivre les effets du choc culturel.

Je fais rigoler (et rougir) Koumba en m'approchant, dansant un merengue bâtard et en chantant:

- Ah Koumba, koumba, oh, oh, oh!

Exactement comme dans la belle chanson de Paul Simon (sur "Graceland"):
"Under African Skies"
(L'écoute ouvre un nouvel onglet, cliquez et revenez ici).

Ces gens sont sensibles à la musique et aux rythmes envoûtants. Moi aussi, tiens.

Pasteur, le Rwandais troublé

Mon collègue Pasteur N'Kikabahizi, toujours mallette à une main et laptop à l’autre, y passe souvent ses soirées lui aussi. Pas étonnant que nous soyons devenus si proches, à raison d’un ou deux repas ensemble presque à tous les jours.

Nous passerons des soirées à refaire le monde car nous avons en commun une culture générale diversifiée . Pasteur a fui son pays le Rwanda pendant la tragédie du génocide. Là-bas, sa mère et sa sœur ont été tuées.

Pasteur m'a dit une fois qu’il est "un peu mêlé dans sa tête."   Malgré tout, c’est un être équilibré d’une grande sagesse. Il m’a beaucoup appris et on a beaucoup rigolé. Il m’a longuement parlé de son pays et je lui ai beaucoup parlé du Canada, mais il était déjà bien informé car il ne se défait jamais de sa petite radio à ondes courtes et nous captons Radio-Canada international. Il est également très réservé, poli et respectueux mais sans complaisance. Il est ici au Mali avec sa femme et ses enfants.

S’il n’avait pas été là, je ne sais pas ce que je serais devenu. Je crois que nous avons été envoyés l’un à l’autre. Parfois, après le dîner, au plus chaud de la journée, nous allons faire la sieste dans une chambre louée non loin. Cette chambre avait le fabuleux attrait d’être climatisée!  Je roupillais tout près du climatiseur. Tiens, c’est peut-être une autre explication à la sévère pharyngite qui m’a enlevé la voix pendant trois jours.  


On voit Abdoul sur notre moto.
En brousse: Tominian, Mandjakuy, Dobo, Perakuy.
Autres photos plus bas.


Pasteur m’a apporté plusieurs apprentissages significatifs. Quand j’ai remis mon rapport provisoire dans lequel je remets en question le leadership de Roman
(le dalaï-lama de l’ONU à Sévaré), ce dernier m’a ordonné de n'en parler à personne.  Je n’ai pas pris cet ordre au sérieux et le soir même j’ai montré mon rapport à Pasteur, simplement pour obtenir son avis en confidentialité.

- C’est une bombe, ton truc!   fut sa première réaction le lendemain, mi-sérieux, mi-sourire.

Il approuvait tout ce que je disais dans le rapport, mais il me recommandait de le réécrire en éliminant les opinions subjectives, ce qui était un bon conseil. Malheureusement, le matin suivant, Pasteur, qui ne savait rien de l’interdiction de Roman, lui en avait déjà glissé mot. J’étais cuit. Roman, jugeant que "la confiance était brisée", a décidé d'interrompre mon mandat à trois semaines de la fin.  Or, il se trouvait que notre superviseure Roselyne était dans la région ces jours-là. On a donc décidé de vider ma chambre et je suis retourné le jour même à Bamako. Les autres employés sur place à Sévaré ne comprenaient pas ce qui se passait. Avec Roselyne, j’ai convenu de leur inventer une histoire de santé, par simple souci diplomatique.

Un apprentissage venant de Pasteur, juste après l'incident du rapport, tient en une phrase qui résume les aspects négatifs de mon mandat:

- L’Afrique n’aime pas la vérité. Si tu la dis quand même, on ne te traitera pas de menteur, mais on te fusillera à titre d’agent subversif.   À cela, je me souviens avoir répliqué que, pourtant, la vérité rend libre.

Il avait raison. Je n’ai pas été fusillé, mais... J’ai été chassé. Dans son bureau, en présence de Roselyne et Anna, Roman m'avait mis en garde, avec ce geste d’intimidation, simulant un couteau dans le cou : couic!.... Je n’en croyais pas mes yeux.  Roselyne, en tout cas, a semblé intimidée. Elle a eu cette réaction nerveuse:

-Vous savez,  j’ai le pouvoir de rapatrier Éric au Canada;, mais ce n'est pas ce que Roman demandait à ce moment, malgré son irritation.

D'ailleurs, quelques mois auparavant, Roselyne avait rapatrié précipitamment une Canadienne, et cette décision avait suscité beaucoup de controverse. Probablement qu’elle en avait tiré une leçon.

Pasteur est un consultant sur ce projet pour son expertise en agronomie. Je l'ai accompagné en mission dans des villages reculés à travers le pays. Nous approchions d'abord le village en autobus public ou en 4x4, puis en moto tout-terrain (voir plus loin). Certains étaient très difficiles d’accès. 

Enfin, mon rôle n’a jamais été vraiment clair. Je devais agir à titre d’agent de communication et/ou à titre de journaliste. En effet, mes tâches étaient plus ou moins liées au journalisme et aux communications, mais ce n'est pas comme ça que ça s'est passé.


  (Ouvrons ici le journal de bord)

Le débat sur le confort et le développement

Dans le cadre du mandat, le mot développement était toujours sur nos lèvres. Quant à moi, on m’a souvent taquiné sur le fait que je ne puisse pas fonctionner si bien sans "confort".  Il faut d’abord définir les termes.  Pour moi, le développement est d’abord associé à un confort accru. Je suis conscient des risques lié à notre surconsommation, mais je ne vois pas de problèmes avec l’augmentation du confort.  Le "confort", c’est plein de choses, dont:

...L’électricité. Éclairage pour faciliter les tâches et ne pas passer son temps à fendre le bois et à piler le mil....  Des moyens de transport adéquats....  Des adresses ... Des chaussures et des vêtements adéquats....   La santé. La recherche et la technologie nous l’ont apportée par le développement...  L’éducation, la formation, pour prendre part pleinement à la vie de la communauté planétaire....  Les communications, améliorant les échanges entre les humains.

Mais, certains demanderont, en ont-ils vraiment besoin? Je sais maintenant que oui. Les femmes éloignées en brousse ont besoin de ce développement pour ne plus se tuer, littéralement, à des tâches dures et longues.  Ces femmes pourraient alléger ces tâches et consacrer du temps à des besoins "secondaires" comme l’éducation et les soins aux enfants. Voilà ce que le "confort", cette "honte" des "chouchoutes" occidentales peut apporter à ces gens. Le piège à éviter reste de faire du développement une fin en soi. Ils ne devront pas oublier que la technologie et le développement industriel sont les outils, pas le but. Peut-être le verront-ils mieux que nous.

(Refermons le journal de bord)


Missions en moto en brousse

Les missions en brousse ont donc pris une place importante durant mon  mandat.
À mon étonnement, j'ai quelque peu apprécié ces missions. Heureusement, sinon j’aurais fini par tourner en rond à Sévaré.

Toutefois la première mission ne fut pas en brousse mais à Sikasso, la plus agréable d'ailleurs. Sikasso était jadis la capitale du royaume de Kénédougou. Nous avons quitté, moi, le chauffeur Amadou et Anna Crole-Rees à bord du Land Rover.  Le voyage vers le sud Sikasso est sans problèmes, la route est goudronnée et le trajet demande environ cinq heures. Sikasso bouge beaucoup, c'est la première fois que je me "sentais bien" durant mon voyage.



Nous passerons quelques jours aux bureaux de l’ONUDI, bien reçus par le chef régional, Aly Guindo. Aly me permet d’utiliser sa moto, la joie. 

C’est le foutoir, ironise encore Anna. Pendant ce séjour, cette dernière commence à me faire remarquer que je semble souvent avoir la tête ailleurs. Elle n’a pas complètement tort. En vérité nous divergeons (sans nous disputer) depuis le début sur ce que j’ai à apprendre ici en Afrique.  En bout de ligne, elle fait de son mieux pour jouer son rôle de tutrice selon ce qu’elle comprend de mon mandat et moi... je fais de même de mon côté.   J’ai remarqué la même attitude chez d'autres Canadiens qui voulaient me dicter ce que j’ai à apprendre avec ce voyage, alors que ça ne regarde que moi. J’ai trouvé cette attitude irritante.


Journal de bord:
Les tiermondistes

Je me rends compte que si je veux être un coopérant, en tout cas je ne serai jamais un "tiers-mondiste". Je ne peux pas aimer le Tiers-monde simplement parce que c’est le Tiers-Monde "aux belles valeurs malgré la misère". C’est le premier mythe qui disparaît de ma liste.  Je vois mal l’intérêt de me plonger dans la misère "pour expérimenter" et me rendre intéressant.

Ainsi, je ne suis pas émerveillé par le Mali simplement parce que c’est le Mali exotique, au passé glorieux et tout ça. Mais je m’attendais à quoi? Mêmes maisons de terre et de paille ou fours de ciment et de tôle, mêmes chemins de terre, même poussière et fumée de feu et monoxyde de carbone. Mêmes coqs, ânes, cabris partout où l’on va. Bien sûr, l'amabilité des gens est aussi la même partout, mais je n’adopterai pas une contrée simplement pour cette raison.

Avant de quitter le Canada, je faisais cette réflexion: les pays pauvres doivent probablement avoir à offrir plus que "nous". Je dirai maintenant que je ne le crois plus.  Car chez nous aussi, on a des valeurs, on recherche Dieu, il y a des gens aimables, des sourires et de la joie de vivre.

Alors au diable l'hypocrisie tiers-mondiste (et/ou "woke"); actuellement, le Nord a plus à apporter au Sud que l’inverse. Qu’ils fassent l’usage qu’ils veulent de cette aide et qu’ils évitent de répéter nos erreurs, comme la surconsommation. Dans le futur, peut-être, la situation sera-t-elle inversée, si l’Occident s'écroule pour de bon.

 (Fin de l'extrait du journal)

Sikasso est accueillante et plus verte que ma Sévaré. J’ai rigolé de voir ces trois jeunes femmes marchant dans la rue, vêtue de boubous (grandes robes) colorés et très élégants, quand l’une d’elles s’est pincé le nez pour laisser s’échapper une longue morve et continuer à marcher comme si de rien n’était. Dignement. Le geste est anodin par ici, soyez prévenus!

C’est ici à Sikasso, le 12 février, que je verrai la première de deux pluies en trois mois. Un orage qui a duré environ 20 minutes. Un délice, il y a longtemps que je n’avais pas autant apprécié une ondée; je suis sorti pour en profiter. Il ne pleuvra plus à nulle part au Mali avant le 18 avril.
À cause de El Nino, en bonne partie: records de chaleur et de sécheresse.



Je me suis senti bien à Sikasso. Presqu'en vacances.

À Sikasso, une Africaine Témoin de Jéhovah m'a proposé des exemplaires de leur revue, qui abordait le thème de la souffrance. C’était le premier d’une série de nombreux incidents que j’interprétais comme une réponse à une grande question que je me proposais d’explorer en Afrique: la signification de la souffrance (j’y reviens plus loin avec des coïncidences DÉROUTANTES). J’étais assez enthousiaste:  je lui ai acheté cinq ou six numéros. Elle était contente, la journée allait être bonne.

J’ai aussi rencontré des coopérants québécois. Sylvain, son épouse et leur jeune fils. Sylvain, justement, n’est PAS un tiers-mondiste.  Je lui ai demandé ce qui le faisait rester ici depuis deux ans et demi:

- Il faut être un peu maso. C’est aussi parce que je peux faire ici le travail que j’aime, alors que c’est moins facile au Québec, et parce que les conditions (offertes par le CECI) sont favorables.

Cette réponse franche rejoignait mes sentiments et je lui ai dis. Je ne voulais surtout pas entendre l'insipide: "Les gens sont super gentils... C’est super cool... Je suis bien ici..."

Ce soir-là, chez les Lachance, la discussion a tourné vers la religion. J'ai parlé des enseignements du Livre d’Urantia. Une fois de plus,  j’ai constaté que la spiritualité et la religion sont des sujets apparemment pas à la mode, jusqu’à ce que quelqu’un "ose" en parler avec ouverture. On voit alors que ces préoccupations touchent beaucoup de gens. J’aime être cette "bougie d’allumage" quand c’est possible.

À part Sikasso, nous avons visité, avec Aly ainsi que Sanata Traoré (chefs d’antenne à Sikasso et à Bougouni) les plates-formes dans des villages des alentours, Flazambougou et Farako avec sa belle chute qui était cependant bien modeste en cette saison sèche. 


Quelques pensées aperçues sur la route

La Terre appartient à une vaste famille dont plusieurs membres sont morts, quelques-uns sont vivants, et un nombre incalculable ne sont pas encore venus au monde.

Je ne crains pas l’ennemi que je connais. Dieu protège-moi de celui qui est caché.

Pauvre à tort. Je lutte pour mon avenir, je ne suis pas dans l’amour commercial (Vu dans quelques taxis)

La dictature, c’est: ferme ta gueule. La démocratie, c’est: cause toujours ».

La famille: l'impossible survient, encore!

Mes missions suivantes avec Pasteur allaient être plus rock’n roll. Des villages très éloignés, pas de confortable 4x4, pas de beaux repas en ville comme à Sikasso. Moi et Pasteur quittons Sévaré vers Tion, à deux heures au sud (voir photo plus bas). Abdoul (employé du projet) est sensé nous y attendre avec la moto, pour nous conduire, un à la fois, à travers 7 km de brousse vers le centre de formation de Zura (près de Tominian) qui sera notre base  pendant 5 jours.


À Tion, près de Tominian.



Cette mission était très spéciale car elle coïncidait avec l’arrivée à Sévaré de ma mère, de mon frère et de sa conjointe pour leur premier séjour en Afrique noire.  À peine débarqués à Bamako en fin de soirée (avec le décalage et tout), installés de justesse à la mission catholique de Bamako, dès le lendemain matin ils prenaient l’autobus par très grande chaleur pour venir me voir à Sévaré, un voyage de 11 heures pour seulement 300 kilomètres, entre autres à cause des arrêts pour la prière.

Réellement hallucinant.
 Même si leur arrivée était prévue, j'étais héberlué de les voir, en face du Libanais, tout juste descendus du bus avec les bagages à 11 heures le soir. Eux aussi ont trouvé bizarre de me voir arriver comme ça:
Je leur dis:
 - Alors, ça a été le voyage?
Ça a l’air anodin? C’était surréaliste!  Yolande, se retournant et me voyant, dit:
 - Ah... Allô Éric...
Comme si ce n’était pas extraordinaire! Il faut dire qu’elle était la plus fatiguée des trois. Je les ai immédiatement amenés à l’hôtel tout près de là, à l'entrée de Sévaré. On a pris un repas vers minuit.

Durant leurs quelques jours à Mopti et Sévaré, j’ai été leur guide, on a navigué en pirogue sur le Niger avec le jeune guide ivoirien, Frédéric, le même qui m’avait fait découvrir ce fleuve.

Avec lui, nous avons visité un village habité par des Bozo. Le modeste village a quand même une fière mosquée, comme on en voit partout au pays. Ça a failli tourner mal quand ma mère a insisté pour offrir des cadeaux aux enfants. Ils se sont vite fait harcelants et c’est en catastrophe que nous sommes repartis sur la pirogue, avec tous ces enfants autour dans l’eau, en réclamant plus. La solution a été de jeter le sac de cadeaux sur la rive. Les enfants se sont rués. J’avais pourtant prévenu de ne PAS parler de cadeaux ou de le faire très discrètement, une personne à la fois.

Plusieurs "petits hasards" ont ponctué leur chemin de Montréal à Sévaré. On a donc parlé de l’action de l’Esprit. On a dîné chez Roman et Éva. Cette dernière s’est occupée plus tard de trouver à ma famille un transport pour revenir à Bamako, leur évitant ainsi l’interminable trajet en autobus.

Alors parlons de HASARDS STUPÉFIANTS. Ce livre en contient une douzaine d'exemples, dont certains stupéfiants. Ma famille quittait Sévaré pour retourner à Bamako le jour même où je partais avec Pasteur pour Tominian et Zura.

Cette photo prise par mon frère est riche de sens pour moi; c'est mon départ de Sévaré avec Pasteur en direction de Tion et Tominian:


Donc nous allions tous vers le sud. Moi et Pasteur partions les premiers. Or, nous avons eu un IMPRÉVU et sommes arrivés à San, 40 km trop à l'est, au lieu de Tion (voir la carte plus haut), là où nous attendait Abdoul et la moto, pour aller à Tominian.

Donc vers midi, nous attendions un transport qui nous ramènerait vers Tion quand soudain Pasteur a pointé le doigt en disant:

- Ce n’est pas ta belle-sœur là-bas?

J'ai pensé: C’est impossible, ils doivent approcher Bamako à l’heure qu’il est, et San n'est pas sur leur chemin. Pourtant, c’était vrai, les trois étaient là-bas avec la Jeep. J’ai couru vers eux, et on n’en revenait pas: ils faisaient un arrêt imprévu à San (comme moi) pour l’essence. C'était déjà un hasard intéressant.
Mais attendez la suite.

Ils nous racontent que plus tôt, à Tion, un jeune homme assis près de sa moto leur a fait signe de stopper.  S’approchant, il a demandé au chauffeur, en bamana:

- Est-ce que par hasard vous connaissez Éric Messier? L'auriez-vous vu?

Richard a sursauté en entendant mon nom. Incrédule, ils s'adressa alors à l'inconnu:

- Il n'est pas ici avec nous, mais je suis son frère. Voici sa mère et sa belle-soeur, c'est toujours ça!

Je veux dire: il aurait été très difficile d'organiser cette rencontre, mais le hasard l'a bien fait.

Le jeune était Abdoul, employé comme moi et Pasteur à Sévaré. Il nous attendait là pour nous conduire à Zura, près de Tominian.  

Ce que nous avons retenu de cet incident étrange est que l’Afrique est à la fois un continent énorme et un bien petit monde.

C’est donc à San que moi et ma famille nous sommes séparés. Ils allaient être au Sénégal dans quelques jours.


La brousse profonde

Moi et Pasteur sommes donc revenus à Tion et de là Abdoul (qui nous attendait toujours!) nous a conduit comme prévu l’un après l’autre, sur la moto, vers Zura, où nous avons été reçus par Jules, le responsable des lieux.

Photos de Zura et Tominian, ainsi que San, où j'ai croisé ma famille dans une énorme coïncidence.




 Nous avions chacun une chambre rustique dans une sorte de motel. Le ciel sans lune était un spectacle ahurissant et j’ai donc causé astronomie avec Pasteur et Abdoul. Incroyable comment on oublie de regarder vers le haut. Ils ne pouvaient croire que ce petit point jaune était en fait Jupiter, 150 fois la taille de la Terre.
De furtifs instants de petite magie.

Le matin, on mangeait des sandwiches à la sardine et au beurre. Rudimentaire mais nourrissant. Je complétais avec mes barres tendres qui m’ont suivi jusqu’en Grèce, deux mois plus tard. Le responsable des lieux contribuait avec un délicieux café.  C’est là aussi que j’ai goûté pour la première fois à un mets, très répandu là-bas non pas pour son goût (isshh) mais parce qu’il est simple et pas cher à préparer: le tho, sauce gombo. Le tho ressemble à du couscous pris en pain. La sauce gombo était faite avec des feuilles de baobabs. Je n’ai pas aimé. Comme beaucoup d’autres toubabous avant moi.

Les deux premières journées, j’ai travaillé sur le portatif de Pasteur, dans une cabane entourée de coqs, de chèvres et d’abeilles et alimentés à l'énergie solaire. Il faut regarder où on marche car il y a des serpents et des scorpions xénophobes. Quant aux salamandres, elles sont partout mais ne causent aucun problème; elles sont presque sympathiques. Assis devant l’ordinateur et entouré de ce décor singulier, je rends les choses plus bizarres en mettant dans le Walkman des trucs comme Twisted Sister ou A-HA:

    This alone is love, no small thing,
this alone is love is love...
And all of us, who are traveling by trapped doors,
Our souls are a myriad of wars
And I’m losing everyone...



Pour terminer: la
rumba !

Avec Abdoul, à moto, j'ai visité des villages reculés pour évaluer la situation avec les villageois. Leur principal obstacle est l'isolement et les probèmes de communication. Les meuniers nous ont expliqué les difficultés rencontrées avec la plateforme.  Nous avons ainsi visité Perakuy, grand village isolé, très loin à l’est, près de la frontière du Burkina Faso. Nous y avons reçu en cadeau un poulet vivant, que Abdoul a cavalièrement accroché par les pattes au guidon de la moto. Je me disais: Voilà un poulet qui va trouver le voyage long!



Un type de chambre trouvée dans les gîtes de brousse. Certaines sont quand même mieux que ça.

La moto a eu quelques sérieux ratés. Il faisait si chaud et ce sentier était si peu fréquenté, je n’osais trop y penser.  À Mandiakuy, très reculé aussi, on cultive l’eucalyptus, un arbre et un bois recherché et dont la culture est fortement encouragée. 

Même scénario dans les villages de Dobo et Kera. Tout ça en moto par grand soleil.   À Zura et à Tominian, malgré tout, les missionnaires (des Noirs) ont une qualité de vie acceptable. Ils sont bien logés et bien équipés en informatique.

À Tominian, j’en ai profité pour visiter une école et discuter pédagogie avec un enseignant. Ce dernier m’a permis de faire une photo de la classe. Pour les enfants, toujours un grand événement!

Après quelques jours, nous sommes revenus à Sévaré. Dans mon rapport, je recommande d’exploiter les stations de radio de la région pour se faire connaître et pour faire de la formation à distance. De nombreuses stations sont en opération à Mopti, Bankass, San et Ségou, dans de nombreuses langues: Français, Peul, Bozo, Bamana, Dogon, Bobo.


Kotaka, 50 km au nord de Mopti.

La dernière mission, à Kotaka, n’a duré que deux jours, à 50 kilomètres au nord de Sévaré, en bordure du Niger mais à une dizaine de kilomètres accidentés, hors route.  J’y ai visité la mosquée, nu bas (ou nu pieds) comme le veut l'usage.

Allah fait ma connaissance.

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