CHAPITRE 3

AU COEUR DU TEMPS PERDU


Le pays Dogon et ses mystères millénaires

Le temps s'est arrêté (littéralement) il y a quelques siècles au pays Dogon, vaste région désolée du Mali qui occupe lui-même 4,2% de l'énorme continent africain, avec ses 1,2 millions de kilomètres carrés.
Le Mali, presque aussi vaste que le Québec.


La danse des masques des Dogon. Depuis des millénaires, croit-on.

Cette région qui compte 289 villages pourrait devenir la vache à lait touristique du Mali. Elle est caractérisée par la falaise de Bandiagara, énorme accident géologique d'un pays plat. Elle scinde le pays Dogon sur 150 kilomètres, jusqu'au Burkina Faso, avec une élévation moyenne de 150 mètres. Son point culminant est le Mont Hombori, le plus haut sommet du Mali à 1155 mètres d'altitude. Les visiteurs en quête d'aventures seront servis.


Village de Teni, au pied de la falaise de Bandiagarra.
On aperçoit la mosquée au centre. Texte plus bas.


L'accès classique à ce territoire se fait par Sévaré. On peut facilement louer les services d'un guide et d'un véhicule. De là, tôt le matin, nous partons vers la petite ville de Bandiagara, à 60 km à l'est - la dernière ville électrifiée avant le pays Dogon. La ville fait 1,5 par 1,5 km. On y achète les noix de kola pour offrir aux chefs de villages.   Notre groupe compte neuf passagers, Canadiens, Allemands, Américains, Français. Le tarif s'est négocié à 40$, tout inclut.

-  Incroyable ce qu'on peut tirer d'une si vieille caisse! lance Xavier.

Je l'ai rencontré, lui et son ami Frédéric, au restaurant sénégalais de Sévaré. Deux jeunes touristes Français qui se tapent une visite éclair de 10 jours au Mali.  Eux-mêmes mécaniciens pour Air France, ils n'en reviennent pas : la Peugeot 504 n'a jamais été si près de rendre l'âme et ne tient qu'à un fil. Par ici, le "système D" règne et les Maliens y sont passés maîtres.


Des greniers Dogon.

Quand je dis "ne tient qu'à un fil", c'est exactement comme ça que tiennent plusieurs pièces du moteur! On a pu le vérifier pendant les deux pannes marquant l'aller. Les derniers kilomètres se font sur une piste à peine praticable même pour un "4x4".



Nous stoppons enfin la diligence à Djiguibombo, située sur le plateau de la falaise, 6000 habitants et principale porte du pays Dogon. L'autre accès se trouve à Douentza, plus loin au nord. Cette cavale accidentée est une route e construction qui sillonnera fièrement la région.




- Nous y voilà: le pays de la soif , fait Frédéric.

Il n'a pas tort : pendant notre randonnée de 4 kilomètres de Djiguibombo vers la falaise (et à ses pieds les villages Kani Kombole et Teli, 4000 habitants chacun), nos corps réclament trois à quatre litres d'eau à l'heure, éliminés par la seule transpiration.  
Pensez-y: trois à quatre litres d'eau par heure, et je n'ai pas uriné de la journée.

L'air est sec, le vent ne nous rafraîchit pas, la chaleur est accablante. L'alcool serait franchement déraisonnable et on se tient peinard entre 11h et 15h, à l'apogée de la canicule. Pas de "café sympa" ni de buvette pour se désaltérer.  Nous goûtons les mets locaux ainsi que la bière de mil (tiède, bien sûr et malheureusement!) spécialité du coin, et pour négocier quelques souvenirs de fabrication artisanale, dont les célèbres masques Dogon et les portails modèles réduits en ébène.

Les Dogon, une espèce en voie de disparition

Les Dogon forment une communauté de 250 000 sujets sur une population malienne de 10 millions d'âmes. On dénombre pas moins de 14 langues dans cette seule région, dont le bamana (langue officielle nationale avec le français), le peul, le bozo. Les Dogon eux-mêmes s'y perdent ; cela n'a rien pour favoriser les contacts entre les ethnies.  Les Dogon ont migré de l'Ouest du Mali vers ces terres hostiles pour fuir l'islamisation. Ici, ils ont trouvé la paix et l'ont préservée. Même si près de 4000 touristes débarquent au Mali chaque année, ce nombre reste faible.

Les Dogon vivent en harmonie avec la nature et les rites animistes y sont encore très présents. Ils sont accueillants mais tiennent néanmoins à leur vie sociale et privée ; le touriste doit impérativement s'assurer les conseils d'un guide.

Sacrifices humains et cannibalisme

Certains lieux de sacrifices et d'autres rites religieux sont considérés tabous et l'interdiction frappe tout le monde.  Des sacrifices humains y ont déjà pris scène jusqu'aux années cinquante. Le Hogon, chef spirituel, gardien du culte et doyen de la communauté ordonnait, avant les semailles annuelles, le sacrifice d'un malheureux capturé en brousse. On l'égorgeait, on faisait cuire la chair, on la mêlait à celle d'un mouton et, le dos tourné au récipient, le Hogon et ses conseillers consommaient le sacrifice. On comprend qu'on n'osait s'éloigner trop de son village à ce temps de l'année.


Plusieurs rituels ancestraux ont dété préservés, tels celui de la mort, le Sigi, célébrant la séparation des éléments constituant la personnalité du disparu. L'enterrement est précipité, surtout si la morte était enceinte (un grand malheur pour les Dogon) mais les funérailles suivront dans les mois suivants.  On pratique aussi la circoncision chez le garçon et l'excision du clitoris chez la jeune femme. C'est ainsi que l'individu se "fixe" et quitte l'enfance. Les garçons circoncis, en groupe appelé tumo, paradent alors vêtus d'une tunique et agitant leur sistre en mendiant des cadeaux aux passants. C'est exactement l'accueil que nous recevons en entrant à Djiguibombo!

Une scène m'a beaucoup troublé dans ce village qui semblait désert à ce moment. Nous avons croisé un vieil homme plutôt rachitique, qui semblait vivre dans un petit creux rocheux, avec un lit fait de branchages. Il nous a offert de lui acheter un objet pour quelques dollars. Je ne me souviens plus ce qu'on a fait.

Une scène à couper le souffle
(2e photo à partir du haut)

- Il est 15 heures, le soleil a baissé, on peut partir, dit Ibrahim, notre guide.

De Djiguibombo, nous marchons environ 4 kilomètres vers l'est où un spectacle inattendu va nous couper le souffle: la savane s'ouvre devant nous, comme infinie, à 200 mètres plus bas, où se trouve le village de Teni.

En saison des pluies, de juin à septembre, le plateau déverse un torrent en une énorme cascade. Apparaissent alors des rivières qui contribuent à préserver la bande de terre arable au pied de falaise.  Descendre vers la plaine est risqué : les escaliers faits de roches à angle de 75 degrés entre deux promontoires rocheux.

Fabuleuse carte postale: on jurerait le Nevada mais avec ces immense baobabs et les cases faites de banco (terre séchée) coiffées de chaume, réunies autour d'une petite mosquée.


Une vue du haut de la falaise. Un village à droite.


Les baobabs sont partout au Mali. Avec les feuilles, on fait le gombo.


À Djiguibombo nous avons dormi sur le toit de la maison du chef (plus frais).

Au pied de la falaise, les cases bâties par les pygmées sont demeurées intactes depuis 800 ans. Les pygmées furent les défricheurs de ce pays. Ils furent chassés il y a fort longtemps par les Tehlem, eux-mêmes évincés par les Dogon, maîtres des lieux depuis plusieurs siècles maintenant.  J'apprécie chaque instant de ces découvertes singulières. Mais où suis-je donc? Qu'est-ce que je fais ici? Je m'amuse à me répéter ces questions qui témoignent du choc culturel. Tout en bas, au  village de Kani Kombole, nous prendrons le repas de riz et de poulet arrosé de l'eau du forage récemment creusé par des coopérants. Mais l'appétit est mitigé :

- La chaleur nous nourrit, avance Frédéric.

On nous sert encore les boissons gazeuses un peu rafraîchies à l'eau de puits.  Nous dormirons sur une natte, sur le toit de la cabane du chef, plus confortable. La Lune est presque pleine, un léger vent nous caresse, les derniers soubresauts du Harmattan.

Je suis dans un rêve avant même de m'endormir.

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