©Eric Messier (RG, au Mali)
Selon l'affiche, ce sont les hommes qui doivent se méfier des femmes!
L’Afrique, longtemps incrédule face au sida,
survivra-t-elle à la gifle que le "mythe" lui a servi au plus fort de
l’épidémie?
Selon les
observateurs, tout dépend maintenant
de l’attitude des Africains. Les jeunes, en bonne partie, et les
gouvernements. La dure réalité s’est imposée
d’elle-même: nier le phénomène ne fut pas la bonne stratégie, c’est le moins qu’on puisse dire. Pendant longtemps, certains pays n’ont pas publié leurs statistiques, les ont même manipulées ou cachées.
Le réveil
Mais le vent a
tourné. Ces dernières années, plusieurs états africains sont passés de la négation à l’acceptation positive. Presque
tous ont fini par reconnaître l’existence de cette menace. La
Zambie a franchi ce pas le jour où le président Kaunda a
annoncé à la télévision que son fils était mort du sida. Dans cette
foulée, on a créé des programmes de prévention, d’éducation et des études
épidémiologiques sérieuses.
Les chiffres
officiels sont apparus plus réalistes, même si le nombre réel de sidéens
restait bien supérieur à ces données. On estime que pour chaque cas de sida enregistré, il y aurait de 50 à
100 personnes séropositives. L’Afrique centrale est la plus touchée, avec des taux de séropositivité
de 5% à 20%, selon World Aids. Les chiffres ont
aussi montré que, contrairement à la croyance, les milieux ruraux peuvent être aussi durement touchés que les villes. Dans certains pays, le nombre de cas peut doubler en
moins de 19 mois.
Dr Yeya Issa Maiga, que nous avons rencontré à Bamako.
L'action est enfin arrivée
C'est au Mali qu’est né dès 1987 un plan d’action
avant-gardiste. Le Mali qui compte 10 millions d’habitants dont la moitié a moins
de 20 ans, étant l’un des plus pauvres au monde, n’a surtout pas
besoin de voir ses forces vives fauchées par le sida.
En 1987, le Programme
National de Lutte contre le Sida créait à Bamako un bureau
de coordination. Son mandat était d’intervenir à
plusieurs niveaux et procéder à une mobilisation des ressources.
Il fallait décentraliser l’action contre le sida, l'intégrer au plan de développement et surtout lui adjoindre des intervenants de tous les secteurs, privé, public, ONG, groupes
communautaires. Les principaux fronts: traitement des MTS, éducation, promotion du préservatif, prise en charge des personnes, sécurité dans les transfusions sanguines.
Un plan d’action en chiffres
Le gouvernement
malien, avec ses maigres ressources, n’injectera certaines années que 40
millions de Francs CFA (100,000 dollars) dans ce programme, mais il
couvrira aussi tous les salaires et les frais
de bureaux. Il a aussi emprunté 1,4 millions US à la Banque Mondiale.
Le coordonateur
national du PNLS-Mali, le
médecin biologiste Yeya Issa Maiga, trouve à se réjouir: "Les résultats, de notre point de vue, sont
spectaculaires". Et il fait parler les chiffres: "Aux débuts, En 1992, les plus
touchés au Mali étaient les femmes et les
18-40 ans, mais une étude de la Banque Mondiale a révélé un changement du comportement des jeunes se responsabilisant,
même si l’épidémie continuait."
"L’enquête de la Banque Mondiale a montré que 96% des gens pouvait nommer deux types de préservatifs; c’est une grande
victoire." Par ailleurs, en comparant deux enquêtes réalisées à cinq ans d'intervalle auprès de 500 femmes enceintes et de 500 prostituées, on rapporte une baisse de la prévalence du VIH de 4% à 3% chez le premier groupe et de 55% à 28% pour le second. Concernant les dons de sang, les
tests de dépistage sont maintenant systématiques, sur autorisation du patient.
Détruire le mythe
Le sida reste-t-il un mythe sur ce
continent? Maiga ne le croit pas:
"Les Africains ont été pris
par surprise par le sida, mais ils sont aussi ceux qui ont eu la plus
vive réaction; ils sont hautement responsabilisés aujourd’hui. En Ouganda, un pays durement frappé, la situation
s’est stabilisée et il est devenu un modèle pour ses voisins dans sa
lutte pour freiner la propagation."
"Quant aux
jeunes et même les prostituées, ils ont enfin compris les messages de
prévention", soutient le coordonateur. "Faites le test: demandez à une prostituée d’avoir un rapport non-protégé; à coup sûr vous essuierez un échec."
Il est vrai que les excuses tiennent
moins depuis que les condoms sont disponibles à prix minime. Le tournant à cet égard a sûrement été ce
discours du président, alors qu’il était apparu à la
télévision tenant bien haut une capote à la main.
On imagine le défi que cela a dû être de rallier jeunes et prostituées autour des
messsages affichés sur ces panneaux le long des
routes du pays: "Le sida tue, ensemble vainquons le sida: fidélité,
abstinence, prévention."
La polygamie ne serait pas la
coupable?
Le Mali étant majoritairement musulman, la polygamie est une pratique
courante. Un homme peut donc avoir plusieurs femmes en même temps. Mais
le problème n’est pas là, selon le docteur Maiga: "Il n’a jamais été
établi que c’était un facteur de propagation du sida. Les familles
polygames sont souvent fermées sur elle-même et sont donc à faible
risque, sauf si le mari polygame voyage: c’est ainsi que le sida quitte
la ville pour apparaître en région."
Voilà donc le
nouvel adversaire des intervenants: la mobilité des Maliens.
Ils sont ceux qui migrent et voyagent le plus en Afrique de l’Ouest. Le
plan stratégique de quatre ans du PNLS arrivé à terme; ces
données ont forcé le réaménagement de la stratégie.
La dure réalité des prisons
Par ailleurs, la lutte au
sida dans les prisons africaines est un problème qui reste entier. La première Conférence internationale
sur le VIH/sida dans les prisons en Afrique n’a pas su
apporter de réponses définitives à de nombreuses questions aussi
cruciales que délicates: faut-il mettre des préservatifs à la portée
des détenus, procéder à un dépistage à l’entrée, isoler un détenu
séropositif et le soigner au même titre qu’un citoyen libre?
Pendant longtemps des gouvernements africains n'ont porté
aucune attention au sida dans les prisons.
Si les chiffres
montrent l’urgence d’agir contre le sida en Afrique, les données concernant le monde carcéral sont tout
simplement inexistantes. En Afrique comme
ailleurs, ce milieu est propice à la propagation du sida: les détenus
proviennent de milieux défavorisées et sont donc plus vulnérables; la
surpopulation des prisons favorise la promiscuité et augmente le
risque. Et si l’État n’a pas toujours les moyens de soigner ses
malades. On imagine bien que les prisons, qui ferment parfois faute de budget, ont d’autres priorités que le soin de leurs sidéens.
Enfin, il reste
un obstacle majeur persistant en Afrique: le tabou entourant l’homosexualité. Nombre
d’Africains n’admettent même pas qu’elle existe chez eux, ou alors qu'elle a été "importée" par les occidentaux. L'homosexualité est
encore illégale dans plusieurs pays africains, comme elle l’était au
Canada jusqu’en 1969.
C’est ce qui a
amené le docteur Marcel Massanga, qui dirige le PNLS centrafricain, à
conclure, lors d'une conférence:
"Le virus n’attend pas le
changement des textes de lois; dans une situation de catastrophe telle
qu’aujourd’hui, il faut savoir dépasser les règles; la loi peut
interdire l’homosexualité et les rapports entre détenus, mais pas les faire disparaître."
La réalité a rattrapé le fuyard.